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Jean-Louis Debré, haut perché

« Il semblerait que l’ambition de Jean-Louis Debré ne soit pas de faire gagner son camp mais de monter en grade dans la machine à faire perdre. » (Christian Estrosi, "Le Nouvel Obs" du 16 octobre 2008).



L’ouverture de la XVe législature de la Ve République a lieu ce mardi 27 juin 2017. Le premier acte des députés élus les 11 et 18 juin 2017 est d’élire leur nouveau Président de l’Assemblée Nationale, quatrième personnage de l’État. Son rôle est de diriger les travaux de cette assemblée et de la représenter. Si la figure tutélaire de Jacques Chaban-Delmas, longtemps élu au perchoir (pendant quinze ans), reste dans toutes les mémoires, deux Présidents ont particulièrement marqué l’histoire récente, par leur volonté de moderniser l’institution, Philippe Séguin, du 2 avril 1993 au 21 avril 1997, et Jean-Louis Debré, du 25 juin 2002 au 4 mars 2007.

J’ai un petit "faible" pour Jean-Louis Debré (72 ans). Je n’appréciais pas vraiment le second couteau assez lourdingue chargé de protéger le Jacques Chirac des années 1990, celui en recherche encore de l’Élysée et encore moins le premier flic de France qui faisait hélas rire tous les terroristes, corses, ou pas. Il faut dire que mettre un juge à l’Intérieur est plus insensé que mettre un policier à la Justice. Et pourtant, le problème de Jean-Louis Debré, c’était un problème de casting : au perchoir et à la rue de Montpensier, il était en revanche totalement dans son rôle institutionnel et il est ainsi devenu un baron de la République très honorable et honoré (bien qu’il ait refusé toutes les décorations sauf le Mérite agricole).

Il y a peut-être un côté sentimental, plus encore que familial, dans les relations entre Jean-Louis Debré et la République. Je me souviens avoir vu, il y a déjà très longtemps, un documentaire sur lui qui le montrait jeune, la trentaine, chercher laborieusement ses électeurs à chaque porte des maisons, aux élections législatives de mars 1978. Il avait beau être un Debré, il n’avait pas été élu. Il a fallu attendre le scrutin proportionnel et la protection rapprochée de Jacques Chirac pour qu’il fût enfin élu député de l’Eure en mars 1986, puis réélu dans la 1e circonscription en juin 1988 sans discontinuité jusqu’en mars 2007.

Oui, Jean-Louis Debré est "un" Debré, et il faut dire que, comme la famille Jeanneney, la famille Joxe, et bien d’autres, les Debré sont une famille de la République, bien encrée dans la vie politique, dans la médecine et dans l’art également. Jean-Louis Debré est le fils de Michel Debré, ancien premier Premier Ministre du Général De Gaulle, le petit-fils de Robert Debré, grand médecin qui a donné son nom à des hôpitaux, neveu du peintre Olivier Debré, père du journaliste Guillaume Debré et frère (faux) jumeau de l’urologue Bernard Debré qui fut député et ministre également (il a d’autres frères).

Encouragé par Pierre Mazeaud (ami de la famille), Jean-Louis Debré a fait des études de droit public et de sciences politiques qui l’ont mené jusqu’au doctorat en droit avec une thèse consacrée aux idées constitutionnelles du Général De Gaulle. Parallèlement à quelques vacations à la faculté de droit de Paris, il s’intégra dans la vie politique par la petite porte, comme membre de cabinets ministériels auprès de Jacques Chirac de 1973 à 1976 (à l’Agriculture, à l’Intérieur puis à Matignon). Il l’a fait alors qu’il soutenait la candidature de Jacques Chaban-Delmas à l’élection présidentielle de 1974 tandis que Jacques Chirac avait soutenu Valéry Giscard d’Estaing. Il fut aussi chef de cabinet du Ministre du Budget, alors Maurice Papon, entre 1978 et 1979.

Le lien de fidélité et de loyauté entre Jean-Louis Debré et Jacques Chirac ne s’est jamais brisé malgré les nombreux retournements de l’histoire politique, et cela même quand Michel Debré, son père, incontrôlable dans une colère permanente expression d’une exaltation personnelle, était encore en "politique active", au point de se présenter à l’élection présidentielle contre Jacques Chirac en 1981.

Ces premières années politiques n’ont pas particulièrement fasciné Jean-Louis Debré, et l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 a d’ailleurs empêché toute nouvelle collaboration ministérielle. Qu’importe, car il était devenu juge d’instruction, s’occupant de quelques affaires parfois très sensibles (comme celle de Virgil Tanase ou celle du terroriste Carlos).

Son engagement politique total a eu lieu en mars 1986 en se faisant élire député RPR de l’Eure, mandat qu’il conserva pendant vingt et un ans. Il s’est aussi impliqué dans la bataille municipale à Évreux, ville communiste, avec un échec en mars 1989 et une victoire en mars 2001 (il fut donc maire d’Évreux entre mars 2001 et mars 2007). Entre-temps, il accepta d’être élu adjoint au maire de Paris, Jean Tibéri, entre juin 1995 et mars 2001. Par ailleurs, il a été conseiller général de l’Eure de mars 1992 à mars 2001 (vice-président du conseil général de 1998 à 2001).

À partir de 1986, Jean-Louis Debré fut un grognard du chiraquisme, et resta fidèle même après la lourde défaite présidentielle de mai 1988 (Charles Pasqua et Philippe Séguin s’étaient alors émancipés). Entrant en 1988 au secrétariat national du RPR (chargé de la justice et de la sécurité), il fut désigné secrétaire général adjoint du RPR de 1993 à 1995 (sous la houlette de Jacques Chirac et Alain Juppé), l’une des personnalités restées encore fiables malgré la mode Édouard Balladur (à laquelle avaient succombé Nicolas Sarkozy, mais aussi Bernard Debré, deux de ses ministres).

Si sa nomination comme Ministre de l’Intérieur du 18 mai 1995 au 2 juin 1997 n’a pas été un franc succès, car il aurait sans doute été meilleur comme Ministre de la Justice, ayant eu du mal à succéder à Charles Pasqua et à terroriser les terroristes aussi efficacement que ce dernier, contournant l’omnipotence de Dominique de Villepin à l’Élysée, Jean-Louis Debré fut néanmoins une pièce maîtresse de la Chiraquie en période de cohabitation jospinienne : il fut élu président du groupe RPR à l’Assemblée Nationale du 12 juin 1997 au 18 juin 2002, devenant le défenseur principal d’un Président de la République réduit au minium institutionnel pendant cinq ans.

Lorsque Jean-Louis Debré décida de se présenter au perchoir après les élections législatives de juin 2002, il avait réussi à écarter Alain Juppé mais avait encore contre lui Édouard Balladur (qui, après Matignon, avait cherché en vain à reconquérir une nouvelle responsabilité politique : président du conseil régional d’Île-de-France en 1998, maire de Paris en 2001, et enfin, le perchoir en 2002).

Président de l’Assemblée Nationale du 25 juin 2002 au 4 mars 2007, Jean-Louis Debré fut alors dans un nettement meilleur rôle, s’épanouissement dans la défense du parlement, en raison de sa fascination et de sa passion pour l’histoire politique. Sa proximité avec Jacques Chirac ne l’a pas empêché de lui exprimer ses oppositions : il était très réticent lors de la nomination de Jean-Pierre Raffarin à Matignon en mai 2002 (il songeait peut-être à occuper le poste), et s’était auparavant opposé à l’adoption du quinquennat, en bon gardien de la Constitution que fut son père aussi. Surtout, il ne cessa de militer contre Nicolas Sarkozy et sa candidature à l’élection présidentielle pourtant de plus en plus inéluctable.

Parmi ses dernières décisions présidentielles, Jacques Chirac nomma le 23 février 2007 son fidèle écuyer Président du Conseil Constitutionnel, poste suprême de la défense de la République, ce qui engendra de nombreuses protestations chez les sarkozystes. La citation indiquée au début de cet article date de cette époque, celle où Christian Estrosi était un second couteau sarkozyste sans état d’âme, et il était heureux que Jean-Louis Debré, à la tête de l’institution qui arbitre les conflits constitutionnels, ne demeurât pas partial et ne cherchât pas à "faire gagner son camp".

L’Assemblée Nationale avait achevé ses travaux en février 2007, comme à chaque fin de quinquennat, et la nouvelle législature commençait en juin 2007. Mais en quittant l’Hôtel de Lassay (la résidence du Président de l’Assemblée Nationale), Jean-Louis Debré avait provoqué une nouvelle élection : il était en effet nécessaire de désigner son successeur au perchoir pour quelques semaines, ce qui n’était qu’un titre honorifique. Pierre Méhaignerie et Claude Gaillard (député de Nancy qui ne se représentait pas) furent candidats à ce furtif poste mais ce fut le gaulliste Patrick Ollier (compagnon de Michèle Alliot-Marie et futur président de la Métropole de Paris) qui fut élu au perchoir du 7 mars 2007 au 19 juin 2007, seul Président de chambre à n’avoir jamais présidé aucune séance à l’Hémicycle (autre que celle de son élection).

Succédant au vieil ami Pierre Mazeaud, Jean-Louis Debré présida le Conseil Constitutionnel du 5 mars 2007 au 5 mars 2016, un mandat très long de neuf ans, englobant trois quinquennats. Il a eu donc à accueillir dans son conseil, hormis Valéry Giscard d’Estaing qui avait décidé de venir siéger à partir de 2004 (il était membre de droit depuis mai 1981), deux autres anciens Présidents de la République membres de droit, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, eux-mêmes qui renoncèrent à siéger après quelques années de présence (pour des raisons diverses : procès et maladie pour Jacques Chirac ; retour à l’engagement politique et mise en cause pour le financement de sa campagne présidentielle de 2012 pour Nicolas Sarkozy).

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Au-delà de cet élargissement du nombre de ses membres, il a surtout dû faire face à une révision capitale de la Constitution décidée par Nicolas Sarkozy, celle du 23 juillet 2008, qui a trait à la question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable étant capable de remettre en cause une loi déjà promulguée, ce qui a profondément bouleversé les travaux da l’institution, avec un manque de moyens patent (on donne plus de pouvoirs sans augmenter le budget de fonctionnement).

En entrant rue de Montpensier (une aile du Palais-Royal), Jean-Louis Debré ne pouvait pas ne pas ressentir une forte émotion, car son père a été le père de la Constitution du 4 octobre 1958. D’ailleurs, le Président Georges Pompidou avait proposé à Michel Debré (alors ministre) de le nommer Président du Conseil Constitutionnel et ce dernier lui avait refusé, car il voulait encore faire de la politique et essayer d’avoir une influence sur le cours des événements, dans les années 1970 (ce n’était pas son caractère de vouloir prendre une retraite anticipée et occuper un placard doré).

À la fin de son mandat de neuf ans (remplacé par Laurent Fabius), Jean-Louis Debré est donc redevenu un homme libre, sans droit de réserve (qu’il avait pourtant un peu malmené) et a sorti dès le 21 avril 2016 un livre mémoire "Ce que je ne pouvais pas dire" chez Robert Laffont où il pouvait "se lâcher" (livre qui a eu un grand succès commercial pendant l’été 2016).

S’il a gardé un pied dans les institutions, comme président du Conseil supérieur des archives (succédant à l’historienne Georgette Elgey et au politologue René Rémond), nommé par la Ministre de la Culture et de la Communication Audrey Azoulay le 5 mars 2016, fonction bénévole (a-t-il tenu à préciser), Jean-Louis Debré, décontracté (sans cravate), a décidé de changer de métier (comme Roselyne Bachelot) en se transformant en chroniqueur de télévision (Paris Première) et de radio (Europe 1).

Jean-Louis Debré a pu ainsi révéler certaines décisions personnelles. Ainsi, malgré son ancienne appartenance à l’UMP, il a déclaré que depuis 1995, il s’était toujours opposé à Nicolas Sarkozy car ce dernier combattait Jacques Chirac. Interviewé par Jean-Michel Aphatie à la matinale de France Info le mardi 15 novembre 2016, Jean-Louis Debré a confié qu’il avait agi comme François Bayrou, à savoir qu’il avait voté pour François Hollande au second tour de l’élection présidentielle du 6 mai 2012 (contre Nicolas Sarkozy) : « Pour moi, qu’on soit à droite ou à gauche, l’important, c’est d’être républicain. J’ai déjà voté à gauche. ».

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Au même moment, il hésitait à soutenir à la primaire LR entre la candidature d’Alain Juppé et celle de son "poulain" Bruno Le Maire qu’il avait "installé" dans sa circonscription de l’Eure (il a soutenu finalement Alain Juppé), avant d’être déçu par la victoire de François Fillon : « La France doit se reprendre. (…) Nous avons besoin d’un Président qui rassemble, qui redonne à l’État une autorité qu’il a perdue. Et je pense qu’aujourd’hui, dans le panorama de ceux qui se présentent, à droite comme à gauche, à gauche, on ne sait pas encore, c’est Alain Juppé qui a le meilleur profil, l’autorité, la dignité, l’expérience pour remettre la France dans le droit chemin. » (15 novembre 2016).

Finalement, Jean-Louis Debré a confié au maire de Lyon, Gérard Collomb, futur Ministre de l’Intérieur (son dernier successeur Place Beauvau), qu’il voterait pour Emmanuel Macron aux deux tours de l’élection présidentielle de 2017 (et Bruno Le Maire fut ensuite nommé Ministre de l’Économie et des Finances par Emmanuel Macron) : « Je ne peux pas voter pour François Fillon. Je voterai pour Emmanuel Macron. » (selon "L’Opinion" du 12 avril 2017). Il l’a donc fait au même titre que François Bayrou, Dominique Perben, Dominique de Villepin et d’autres chiraquiens…

Probablement que l’élection de Laurent Wauquiez à la tête de LR, le cas échéant, éloignerait définitivement Jean-Louis Debré de la famille résiduelle du gaullisme politique, au profit d’un nouvel ordre présidentiel incarné par …Emmanuel Macron.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 juin 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jean-Louis Debré.
Bernard Debré.
Michel Debré.
Jacques Chirac.
Vincent Auriol.
Édouard Herriot.
Jacques Chaban-Delmas.
Edgar Faure.
Laurent Fabius.
Henri Emmanuelli.
Philippe Séguin.
Raymond Forni.
Patrick Ollier.
Claude Bartolone.
Daniel Mayer.
Robert Badinter.
Roland Dumas.
Yves Guéna.

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1 réactions à cet article    


  • zygzornifle zygzornifle 27 juin 2017 15:17

    debré ye ça fume......

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