Quand les livres se vendent sous le manteau
L’engorgement des librairies.
Tout le monde a quelque chose à écrire désormais et comme me le faisait justement remarquer un photographe, un peu piqué par mon billet, « Si la photo est bonne », l’explosion des écrits de toute nature est de même nature que celle des photographies. L’ordinateur et les réseaux sociaux ont fait de chacun de nous des êtres en mal d’expression.
Les plus adroits dans l’art complexe de manier la langue, d’assembler des phrases, d’aligner quelques mots en ne commettant pas trop de fautes d’orthographe ni de syntaxe sont alors remarqués dans le flot de banalités bancales et impudiques qui sont offertes à la curiosité de tous. Ils se prennent à rêver d’être eux-mêmes des auteurs. J’en sais quelque chose, j’ai moi-même succombé à ce délire narcissique.
Hélas, bien vite la réalité se fait affliction. Les maisons d’édition font la sourde oreille aux chants des sirènes de la toile. Il n’est pas possible de les en blâmer tant sont nombreux désormais les scribouillards qui se rêvent des destins à la « Alexandre Vialatte ». Les chroniques font florès sur le net et un grand flop en librairie. Le lecteur est assez frileux dès qu’il s’agit de payer et je le crains, assez cossard pour lire entièrement un texte y compris sur son ordinateur.
C’est ainsi que le nombre supposé de lecteurs correspond le plus souvent à des gestes compulsifs, des clics, rarement suivis d’effet véritable. Le titre est parcouru, les premières lignes sont survolées puis le reste est rapidement délaissé avant que d’être définitivement oublié. Le visiteur occasionnel passe très vite à autre chose, pignocher est la règle dans ce petit monde virtuel.
Se berçant d’illusions, l’auteur numérique se pense investi d’un talent littéraire fort de l’adoubement des fantômes qui peuplent son compteur de visites. Il s’imagine alors être en mesure de franchir le pas, passant de l’écran immatériel à la page par le truchement du livre. C’est alors que débute pour lui le grand parcours du combattant en zone hostile.
Pour publier dans une maison ayant pignon sur rue et réputation flatteuse, il convient d’avoir un immense talent, ce qui est fort rare ou bien de disposer d’un nom clinquant qui attirera les gogos. Pour les seconds, pas de soucis à se faire, la machine médiatique est capable de faire passer des textes insipides pour de somptueux récits même s’il faut parfois tout faire réécrire par une plume souterraine. Pour les premiers, la chance doit jouer son rôle pour sortir du lot et émerger de ce fatras indigeste.
Quant à tous les autres, les besogneux, les inconnus, les talents incomplets, les sans grade et les anonymes, la désillusion est à la hauteur des espérances. Les portes se ferment et seules quelques maisons d’édition locales leur ouvrent les portes. C’est alors une fausse joie. Le livre existera mais sera si peu distribué qu’il croupira en arrière plan dans des rayons régionalistes qui n’attirent personne.
S’étant brûlé les ailes, le plumitif irréductible décide alors de se charger lui-même de la diffusion et opte alors pour l’auto-édition. Dans ce cas-là, les choses sont bien plus claires, l’auteur ne compte que sur lui-même et déploie alors des trésors d’ingéniosité pour se faire entendre tout en renonçant à mesurer son temps et ses efforts. Il se lance ainsi dans un marathon de séances de dédicaces en maison de la presse, de longues attentes dans les salons du livre régionaux, de patientes démarches auprès de supermarchés disposant d’un rayon culture, les librairies ayant d’autres chats à fouetter.
L’auteur vend sous le manteau, il fait le pied de grue pour attirer le chaland, il se met en scène ou bien en Loire pour attirer l’attention, il fait le clown ou bien il défraie la chronique pour que son enfant bénéficie d’une petite couverture que je qualifierai de survie. Il n’a pas d’autres solutions pour exister dans ce monde impitoyable du livre. Pour lui, les ventes se comptent en dizaines tout au plus et il convient de s’en satisfaire.
Voilà vous savez tout. Vous comprendrez mieux pourquoi « Règlement de Conte sur la Loire » ne se trouvera pas dans les librairies et tant qu’à le vendre sous le manteau, autant le faire avec humour et distance, auto dérision et imagination. Mon vieil ami La Pistole, le colporteur des livres d’antan, n’est plus. Je dois me charger de tenir son rôle et j’écumerai les foires et les marchés, les fêtes et les banquets, les estaminets et les lieux improbables pour proposer notre cher enfant. Faute de talent, autant disposer d’une belle dose d'opiniâtreté. Et ce ce côté-là, ma collègue et moi, nous ne manquons pas de ressources.
Livresquement vôtre.
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