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Pour une moralisation de la vie des affaires en France 1/2 Les acteurs

Le Bâtiment du Ministère des Finances {JPEG}

Pour une moralisation de la vie des affaires en France 
1/2 Les acteurs 

Parce que la volonté politique dans la bataille à l'encontre de la fraude et l'évasion fiscale des entreprises est primordiale, le premier ministre Édouard Philippe et le nouveau ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire devraient aborder ce combat sous l'angle d'une moralisation de la production et de la circulation des richesses, et non pas seulement sous un angle purement financier.
Parce que si l'on ne règle pas la question de l'évasion fiscale et de la liberté de frauder, on met en péril l'édifice et le rôle de l’État au travers de l'évitement au consentement à l’impôt.

Quels en sont les montants ? 

Différentes formes de fraude représentent un manque à gagner annuel compris entre 60 et 80 Milliards d'Euros de recettes fiscales, soit l'équivalent du déficit budgétaire de l’État qui s'élève à 72 Milliards d'Euros en 2016 (1).
La part affectée à la fraude à l’impôt sur les sociétés et à la TVA représente pour sa part une fourchette entre 38 et 51 Milliards d'Euros, soit les deux tiers du manque à gagner.
Mais ces chiffres sont largement sous évalués car ils ne tiennent pas compte des manipulations au travers des transactions entre filiales ( prix de transfert) pratiquées au sein de groupes de sociétés, leur permettant de faire apparaître leurs profits dans les pays les moins taxés, qui sont souvent des paradis fiscaux.
Cette fraude internationale à grande échelle prend diverses formes : 
Elle concerne la fraude à la TVA intracommunautaire représentant chaque année 10 Millions d'Euros de manque à gagner au ministère de Bercy par l'intermédiaire de pratiques mafieuses , les manipulations au travers des prix de transfert, les montages juridiques sophistiqués utilisant des régimes fiscaux «  privilégiés », la mise en place de sociétés écrans ...

Quels en sont les acteurs ?

Les entreprises cotées en bourse 

Essentiellement celles des CAC 40 dont environ 20% des filiales domiciliées à l'étranger le sont dans des paradis fiscaux. Le taux normal de l'impot sur les sociétés (IS) est de 33,33%, mais leur taux d'imposition réel n'est que de 8,7% en moyenne. Il est cependant difficile de savoir combien les sociétés du CAC 40 versent à l'Etat chaque année. Ni Bercy, ni les entreprises ne communiquent sur ce sujet.
Prenons en exemple le Groupe TOTAL : 
La charge de l'impot de TOTAL au regard de ses profits records est l'objet de multiples controverses en France. Entre 2012 et 2014, le groupe pétrolier n'y a pas acquitté d'IS. La raison officielle invoquée est que ses principales activités ( raffinage, stations services ) y sont déficitaires. A ce propos, l'activité raffinage a été restructurée en 2015, bien que TOTAL ait versé 8,7 Milliards d'Euros de dividendes en 2014, année au cours de laquelle il a bénéficié de 200 Millions d'Euros d'aides publiques au travers du CICE et du crédit d'impot recherche. 
De plus, les sociétés du CAC 40 délocalisent progressivement leurs sièges sociaux et certaines de leurs activités, organisent l'expatriation de leurs dirigeants, à Londres ou Amsterdam, ou en Irlande. 
Parce que mondialisation oblige, le centre de gravité des groupes de sociétés se déplace, conduisant à une diminution inéluctable de leurs investissements en France et des recettes fiscales de l’État. Ceci est confirmé par la part décroissante de leurs effectifs travaillant en France et du CA réalisé dans l'hexagone. 

Les Banques 

D'après une étude publiée en 2016 par un collectif d'organisations dont -le CCFTerre Solidaire , Oxfam et le Secours catholique- les cinq plus grandes banques françaises – BNP Paribas, BPCE, Société Générale, Crédit Agricole , Crédit Mutuel CIC - réalisent à l'international un tiers de leurs bénéfices dans les Paradis Fiscaux, dont le Luxembourg, au travers de leurs activités risquées et spéculatives, tout en y payant deux fois moins d’impôts à taux de profit égaux. Ces données ont pu être recueillies à la suite de l'obligation de rendre publiques des informations sur leurs activités et les impôts payés dans tous les pays de leurs implantations (Reporting Public pays par pays).
Ceci représente une évolution vers plus de transparence sur leurs stratégies de détournement fiscal.
Dans ce contexte, BNP Paribas vient d’être condamné au cours de ce mois à une amende de 10 Millions d'Euros par l'Autorité de Contrôle des Banques ( ACPR) pour des insuffisances dans son dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux. 

Les intermédiaires spécialistes de l'évasion fiscale 

Ils agissent dans une zone grise à la frontière entre la fraude et l'optimisation qui consiste à transférer à l'étranger la matière taxable pour la soustraire à la fiscalité nationale.
Des cabinets d’avocats en droit des affaires, d'audit et de conseil, des banques élaborent des montages financiers complexes permettant à des mandataires d'agir sans que ne puisse être dévoilé l'identité de leurs mandants. Ils créent des fiducies, des trusts, des sociétés écrans permettant de rendre anonymes les détenteurs du capital, ici personnes morales.
Parmi les plus importants intermédiaires en termes de nombre d’entités offshore crées, on retrouve les principales banques d'affaires – UBS, Crédit Suisse , Citibank , HSBC, SG- et aussi les «  Big Four » , les quatre plus grands groupes d'audit financier au monde – Deloitte, Ernst and Young , KPMG , PWC - .
Les «  Big Four » au delà du conseil, intègrent un autre métier, l'audit et le contrôle des grandes entreprises au travers de la validation annuelle de leurs comptes consolidés.
Dans la pratique, il est fréquent de voir s'exiler des Inspecteurs des Finances qui élaborent à Bercy les procédures fiscales et en connaissent toutes les failles, vers les entreprises ou les cabinets d'audit cités plus haut.

Les Services de l’État

Depuis quelques années, sous l'égide de l'OCDE, on a pu constater une progression du combat contre l'optimisation fiscale au travers de la fin du secret bancaire, la mise en œuvre d'un reporting public pays / pays pour les banques, la création d'un Parquet National Financier en 2013, d'une Agence Française anti-corruption en 2017. 
Mais en France, seule l'administration fiscale peut engager des poursuites pénales pour fraude fiscale et non pas les parquets et leurs juges d'instruction.
C'est ce que l'on appelle le «  Verrou de Bercy » : le Ministère du Budget peut décider seul si un fraudeur fiscal doit être poursuivi. On se souvient à ce propos des récentes affaires Cahuzac et Thevenoud .La commission des infractions fiscales (CIF)située au coeur de ce dispositif,"opère"une sélection de dossiers à destination de l'autorité judiciaire. Mais cette exception francaise n'a plus aucune légitimité depuis la création du Parquet National Financier. L'argumentation en faveur de ce schéma réside dans la complexité des dossiers et ... le manque de moyens alloués à la justice.
La Cour des Comptes a aussi relevé en 2013 le caractère obsolète des moyens techniques alloués à la Direction Générale des Finances Publiques :
«  L'architecture des systèmes informatiques utilisés dans le cadre du contrôle fiscal repose sur des bases de données et des applications très nombreuses, anciennes, peu ergonomiques et souvent interconnectées. » 
Espérons que le nouveau Secrétaire d'État chargé du Numérique Mounir Mahjoubi ait l'intention de s'atteler à cette tache prioritaire.

La société civile

Sous le slogan «  We want our money back », la société civile a fait progresser le niveau technique du débat par l'intermédiaire de l'action d'ONG, associations très compétentes, très mobilisées, bénéficiant désormais d'une couverture internationale, et regroupés au travers de la Plateforme des Paradis Fiscaux et judiciaires :
http://www.stopparadisfiscaux.fr/qui-sommes-nous/article/les-membres-de-la-plateforme
On peut souligner aussi le rôle des lanceurs d'alerte, salariés de l'univers de la finance, des journalistes d’investigation très actifs dans l'affaire récente des Panama Papers, le travail de certains magistrats et d'un certain nombre de parlementaires, ayant porté des solutions politiques à ce sujet très technique.

 

Ce combat doit être poursuivi, car il faut s'opposer à la corruption financière en faisant sauter les verrous institutionnels, politiques et judiciaires. Jusqu'à présent, toutes les tentatives d'ériger la transparence des structures offshore ont été sacrifiées au nom de la rentabilité de l'industrie financière. Cependant, dès l'année 2000, l'OCDE a pour la première fois publié un rapport révélant ces montages juridiques à des fins de blanchiment et de fraude fiscale. En France, des solutions existent, au niveau du renforcement de la coopération politico administrative et judiciaire. Nous le verrons ultérieurement. 
Mais n'oublions pas qu'il existe un fossé entre les déclarations d'intention des gouvernements et la mise en oeuvre de leurs actions. 

(1)Rapport du syndicat Solidaires Finances Publiques 2013 : Ces chiffres ont été repris et validés par des rapports parlementaires ultérieurs et par le gouvernement 


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2 réactions à cet article    


  • Yvance77 Yvance77 27 juin 2017 10:47

    Salut


    Il y a deux choses qui ont toujours manquées :

    1) donner les moyens au juges en charge des affaires de faire leur travail correctement et rapidement. Les Joly, Van Ruynbeck, Montgolfier, Viechniewski etc...(quand ils officiaient) ont eu sans cesse les bâtons dans les roues. Et pour demander des papiers hors du territoire c’était en longs mois qu’il fallait compter pour en avoir et encore partiellement.

    2) des couilles. Mettre en taule et pour de bon et pour longtemps les truands ou ceux qui échappent à la fiscalité. Les Mulliez, Brochand, Dassault tu les colles pour 5 piges au ballon et nul doute que d’autres vont y réfléchir.

    A noter qu’une loi comme aux States pour payer la différence de l’impôt à leur propre pays, s’il trouve mieux ailleurs, serait la bienvenue

    • Eliane Jacquot Eliane Jacquot 28 juin 2017 18:34

      Bonjour,

      Je vous remercie de m’avoir lue.

      Si vous voulez en savoir plus sur les multiples zones d’ombre de la fiscalité française, je vous conseille la lecture d’un essai publié en Janvier 2017 " Dans l’enfer de Bercy".

      Ce lieu concentre les blocages français . La bataille des egos des Énarques Inspecteurs des Finances ,la division et la concurrence des périmètres ministériels , ainsi que le turn -over incessant ,du personnel d’encadrement entravent l’action et l’efficacité des ministères à long terme.

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