Santé et Culture : l’opportunité d’investir dans les « mégadonnées »
Big Data : le mot fait peur. Cette explosion quantitative des données numériques représente un enjeu majeur pour les usagers et les entreprises : comment placer les données au cœur du processus décisionnel, tout en garantissant une sécurité maximale à destination des usagers ? Certains secteurs, à l’instar de la culture et de la santé, ont déjà investi dans l’exploitation des données, pour our mieux se recentrer sur leur cœur de métiers.
C’est la dernière controverse déclenchée par le président américain. Le 4 avril dernier, Donald Trump a promulgué l’abrogation de la protection des données des utilisateurs sur le Web. Les fournisseurs d’accès à internet n’auront plus à obtenir l’accord de leurs clients avant d’utiliser leurs données de géolocalisation, financières, de santé, ou toute information issue de leur historique en ligne. Il n’en fallait pas plus pour faire resurgir le spectre de Big Brother, en particulier parmi les organisations de défense des libertés publiques.
Une santé « connectée » pour répondre plus efficacement aux besoins des patients
En France, où l’on se souvient encore de la polémique déclenchée par la création du méga-fichier TES (Titres Electroniques Spécialisés), le sujet est également d’actualité. En effet, l’Etat vient de lancer une base nationale des données de santé dont le but est de répertorier des informations sur l’ensemble de la population française de façon anonyme. Promulgué par un décret en décembre dernier, le « Système national des données de santé » (SNDS) est finalement entré en vigueur le lundi 3 avril.
Cette base de données centralisée va regrouper quatre types d’information : feuilles de soin, consultations, hospitalisations et achat de médicaments. De nouvelles informations seront ajoutées à partir de 2018, notamment les causes de décès, les informations sur un handicap et les données concernant le remboursement des mutuelles.
Conscient qu’il s’agit d’un sujet sensible, l’Etat a conçu le SNDS sur un principe de « pseudonymisation » (à ne pas confondre avec l’anonymisation). Le nom de chaque Français sera remplacé par un numéro dans la base de données, mais cette démarche reste réversible. Cela correspond aux préconisations de la Commission nationale de l’informatique et les libertés (CNIL), pour qui la pseudonymisation s’impose lorsque la ré-identification ou l’étude de corrélations peuvent s’avérer nécessaires.
Bien que la vigilance reste de mise, la CNIL affirme cependant l’importance des données collectées pour la modernisation du système de santé. Le SNDS pourrait par exemple fournir des informations précises sur les effets secondaires d’un médicament ou sur la performance des hôpitaux.
Quand la culture se met au Big Data
L’exploitation des données représente aussi un atout majeur dans le secteur de la Culture. Intimement persuadées que celle ci n’est pas « morte », certaines entreprises investissent dans le domaine des données de masse. C’est en tout cas l’ambition et le pari de la jeune start-up Delight. Fondée en 2015 par Marc Gonnet (ancien directeur marketing & développement d’Europe 1), Eric de Rugy et Olivier Abitbol, Delight est une plateforme SaaS de marketing digital (les entreprises s’abonnent à un logiciel à distance au lieu de l’acquérir). Objectif : s’adresser aux producteurs de spectacle vivant en leur proposant d’améliorer la connaissance de leurs publics, et accroître notamment les recettes de billetterie.
Les producteurs de spectacle vivant prennent souvent beaucoup de risques (location de salles, investissement dans le marketing, confiance vis-à-vis de nouveaux artistes…) Or aujourd’hui, constate Marc Gonnet, « 40% des places de spectacles en moyenne ne trouvent pas preneur, et chaque jour, des milliers de personnes ratent un spectacle, faute d’avoir été prévenues ou d’avoir compris que ce spectacle pouvait les intéresser. » Mission de Delight : S’attaquer à ce problème et aider « les producteurs à mieux identifier et cibler leur public grâce à la data et aux algorithmes ». Un des avantages, et non des moindres : rationnaliser les dépenses en communications (affiches, partenariats...) et optimiser les retombées des investissements.
Delight a remporté en 2016 le Prix de l’initiative numérique – Prix créé en 2013 par le groupe de protection sociale Audiens - qui récompense et soutient chaque année des projets numériques innovants au service de la culture, de la communication et des médias. Fort de son succès, la start-up française a réalisé en décembre 2016, une levée de fonds de 1,15 million d’euros auprès de la SATT Lutech, de business angels et de Bpifrance ; coup de pouce indispensable pour préparer son développement à l’international.
L’enjeu éthique de l’utilisation de la donnée
En France, dans le domaine de la santé, la CNIL garantit que les informations collectées seront toujours utilisées dans l’intérêt des patients et de la recherche. L’autorité administrative indépendante (créée en 1978) délivre les autorisations nécessaires pour consulter les données du SNDS. Mais il est vrai que « la protection des données de santé est un numéro d’équilibriste », comme le rappelle Miguel Gonzalez-Sancho, nommé en 2016 à la tête de l’unité « E-santé, bien-être et vieillissement » à la Commission européenne. « Il faut d’un côté défendre [les informations des patients], et de l’autre assurer leur circulation ».
D’où l’importance de soumettre ces informations à un haut niveau de sécurité physique et technique. En Europe, le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 a pour but de redonner aux citoyens le contrôle des données qui les concernent. Il s’applique au service public comme aux acteurs privés et s’inscrit dans le contexte de la lutte contre le profilage par les grands acteurs du web.
Dans le domaine de la santé comme dans celui de la culture, l’exploitation de la donnée n’est pas stricto sensu commerciale. Qu’il s’agisse d’un service public ou d’une entreprise privée, l’analyse des données ouvre de nouvelles perspectives de développement et s’inscrit dans une démarche qualitative vis-à-vis des patients/clients. Encadrée, l’analyse des données ne représente donc pas une menace pour nos libertés. En revanche – et que l’on ne s’y trompe pas ! - le Big Data n’est pas LA solution miracle. L’échec de la prédiction, par la société canadienne Filteris spécialisée dans la web-réputation, de la qualification au 2nd tour de la présidentielle de François Fillon en est un parfait exemple. Cet épisode montre bien que l’analyse prédictive – comme toutes analyses et estimations - n’est pas totalement exempte d’erreurs…
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