Grippe aviaire : entre psychose médiatique et danger réel
Grippe aviaire : De quoi et pourquoi avons-nous peur ?
L’objet du présent article vise d’une part à apporter des éléments de réponse à mon précédent article « Grippe aviaire : Ce que l’on ne vous dit pas » paru ici même sur Agoravox et d’autre part à lancer un autre débat portant sur les peurs qui nous font réagir.
La peur médiatique
Tout d’abord, il convient de souligner l’importance de l’audience du précédent article. Selon les mots mêmes d’un administrateur du site d’Agoravox, il aurait fait exploser les statistiques. Il y a lieu d’analyser les raisons de cette audience.
D’une part, comme certains commentateurs me l’ont reproché, cet article a eu un écho manifeste en raison de son caractère alarmiste. Son titre "ce que l’on ne vous dit pas" a joué un rôle accrocheur indéniable. Mais l’accroche ne peut pas tout faire, le point de vue adopté par l’article a également contribué à son audience. En effet, comme je l’ai indiqué rapidement dans les commentaires, je ne nie pas qu’il existe des incertitudes quant aux probabilités d’une pandémie grippale. Mais mon interrogation s’est portée sur l’analyse de documents officiels du gouvernement français. Tous sont accessibles sur les sites du Ministère de la Santé et de la Solidarité mais personne ne s’en était fait réellement l’écho jusqu’à présent. C’est justement ce mutisme que j’ai souhaité pointer. Toutes les personnes qui m’ont donc reproché de ne pas avoir de sources fiables, je ne peux donc que les renvoyer à la lecture de ces textes qui sont listés en fin du présent article. Le caractère alarmiste reproché à l’article n’est en rien une intention de l’auteur mais simplement une mise en lumière de dispositions prises par des responsables résultant de l’avis d’experts. A partir du moment où ces documents sont accessibles - en théorie - au grand public puisque mis en ligne sur le site du gouvernement, on ne peut reprocher à un citoyen de citer ces documents. Et en cela, il faut se féliciter du débat que cet article a réussi à générer. L’essentiel n’est-il pas qu’il y ait débat ? On peut constater d’ailleurs que depuis cet article, sans qu’il y soit forcément directement pour quelque chose, le débat a pris de l’ampleur.
D’autre part, l’audience de l’article a été "boostée" par le simple fait qu’un moteur de recherche célèbre, Google, a mis pendant un certain temps cet article en "tête de gondole" ; l’impact fut immédiat. Mais là encore, il y a lieu de s’interroger sur les "motivations" de ce moteur de recherche. Pour suivre régulièrement ce qui se passe dans la presse sur le phénomène de la grippe aviaire, j’ai pu constater que les médias occidentaux en parlaient peu jusqu’au moment où le virus s’est manifesté aux portes de l’Europe. Pourtant, ce virus a contribué à des décisions d’abattage de volailles en masse dans les pays de l’Asie du Sud-Est menaçant l’activité économique de ce secteur. N’oublions pas que l’an dernier les Pays-Bas - à qui on reproche aujourd’hui d’en faire trop - ont dû procéder de même, et leur opinion publique a été marquée par le décès d’une personne et par l’infection de 87 autres proches des exploitations. La décision de Google et l’audience de l’article ne réflètent en soi que le mouvement de l’opinion. Une fois passé l’Oural, le virus devenait beaucoup plus inquiétant et les médias s’en sont aujourd’hui saisi. Ainsi, le 26 Août 2005, Google-Actualités affiche 74 articles sur ce thème (dont l’article de Bergamote publié également sur le site d’Agoravox).
Optimistes, pessimistes : une simple question de caractère ?
Ceci me fait dire que notre peur relative à la grippe aviaire (et ceci est vrai pour bien d’autres phénomènes) est essentiellement véhiculée par les médias et par notre instinct (qui veut que l’on soit par nature égoïste). Il est vrai que le mythe d’une pandémie mondiale est accroché à ce virus. Toutes ces caractéristiques en font un tueur en série potentiel. L’histoire de la grippe nous montre que nous ne sommes pas à l’abri d’un tel phénomène. Alors s’agit-il d’une simple peur médiatique ? Difficile à dire ; les experts entre eux sont contradictoires, et l’on retrouve cette dichotomie dans les nombreux commentaires que vous avez laissés sur le site d’Agoravox.
D’une part, il y a ceux qui restent optimistes et qui estiment que le virus n’aura que peu d’impact sur les pays européens, voire occidentaux. Leurs arguments sont d’ailleurs multiples. J’en recenserai ici trois catégories :
- ceux tenant aux caractéristiques techniques du virus ;
- ceux tenant aux caractéristiques des pays où ce virus émerge ;
- ceux tenant aux "véhicules" du virus.
Les premiers mettent en cause la capacité du virus H5N1 à franchir la barrière Homme/Animal et au-delà la capacité du virus à se transmettre entre humains. Ils s’appuient, pour contester cette capacité au-delà des arguments purement scientifiques, sur le nombre relativement infime de décès humains causés par le virus. On nous dit que le virus ne peut pas se transmettre d’homme à homme. Cet argument est particulièrement fort pour la population. Ce fait n’est pas contestable : à ce jour, le nombre de décès est ridulement bas au regard du tapage médiatique fait autour du virus H5N1. Fait-on autant de bruit sur les conséquences de la famine dans le monde ? Proportionnellement, les médias ne devraient parler que de ça. Au fait, êtes-vous au courant ? Si vous êtes allés au cinéma en ce moment, vous avez dû voir un spot avant votre séance vous informant qu’un enfant meurt de faim toutes les cinq secondes. Le spot se veut volontairement frappant, mais avez-vous calculé ce que cela faisait sur un mois, sur un an ? J’ai fait ce calcul et le résultat me semble beaucoup plus percutant encore : sur un an, cela donne 6 307 200 enfants décédés soit environ 10% de la population française. De ce point de vue, on peut donc dire que l’on en fait beaucoup trop sur la grippe aviaire, comme sur beaucoup d’autres sujets d’ailleurs.
D’autres arguments sont avancés pour relativiser l’impact du virus de la grippe aviaire. Ainsi, l’hygiène et le système de santé des pays actuellement touchés seraient des facteurs aggravants, alors qu’en France, en Europe et dans les autres pays "occidentaux" (cela comprend aussi le Japon, l’Australie) l’hygiène et l’organisation de notre système de santé seraient des points forts permettant de faire "barrière". Là aussi, le bon sens veut que chacun acquiesce. Il faut bien reconnaître que les mesures d’hygiène sont beaucoup plus drastiques dans les pays occidentaux. Or le virus se propageant par voie aérienne, par les fientes des animaux, on peut présumer que des mesures d’hygiène peuvent permettre de limiter l’impact du virus. C’est en tous cas ce qui ressort des indications de la FAO : "Les fientes d’oiseaux sont le plus grand danger ; le virus aime l’humidité et la saleté. Il est donc capital de désinfecter complètement les objets qui ont été souillés par des déjections d’oiseaux - cages, chaussures, vêtements - avant de s’occuper de la volaille ou de pénétrer sur les lieux d’élevage ... De simples mesures d’hygiène peuvent réduire le danger, mais les autorités nationales sont invitées à fournir et à communiquer des conseils spécifiques pour chaque type d’exploitation avicole."
Le troisième type d’argument tient aux "véhicules" du virus. Comment se transporte le virus ? On le sait, cela est bien médiatisé, par les oiseaux migrateurs et principalement les volailles et entre autre le canard. Aujourd’hui, on entend nombre de personnes nous indiquer qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. En effet, même si ces espèces sont pour la plupart des espèces migrantes à travers les continents, le risque de contamination des exploitations françaises et européennes est fort limité. A l’appui, j’ai même entendu un "expert" nous dire que la présence du virus en Russie n’avait pas lieu d’être inquiétante parce que les oiseaux migrateurs passant par le France viennent principalement d’Irlande, la route de migration des espèces actuellement en Russie ne passant pas par la France. D’autres personnes ont avancé l’argumentation selon laquelle le contact avec nos volailles "domestiques" n’aurait pas lieu parce que les oiseaux malades ne parviendraient pas jusque chez nous. Pourquoi ? Parce que le virus les aurait déjà tués avant la fin de leur voyage. Et si les oiseaux sauvages parvenaient jusque chez nous, ce serait le signe que le virus n’est pas si inquiétant.
Bien que certains de ces arguments soient indéniablement solides, on ne peut s’empêcher, si l’on est un citoyen honnête, de constater que ces arguments ne sont pas sans faille, et qu’il existe d’autres experts pour dire presque le contraire. Sinon, pourquoi, l’OMS, la FAO, l’OIE, le gouvernement français prendraient-ils des bulletins d’alerte, des dispositions préventives ?
Concernant la position des experts plutôt pessimistes, au-delà du fait indéniable du nombre limité de décès parmi la population humaine, la vraie question est la capacité du virus à franchir la barrière Homme/Animal. De ce point de vue, on entend des experts qui nous disent que ce franchissement n’est qu’une affaire de temps, le virus étant par principe mutant. Je vous invite ainsi à lire une note des groupes régionaux de la grippe sur le pouvoir hautement pathogène du virus influenza. La note concluant sur le fait que "des mesures d’éradication et d’alerte pandémique s’imposent, le moment le plus propice pour maîtriser cette épizootie étant lors de son apparition, c’est-à-dire maintenant". Vous pourrez y trouver d’autres informations comme une fiche d’évaluation du risque pour l’homme liée à la consommation de volaille infectée de l’AFSSA. Je vous conseille également un site particulièrement bien fait, celui de l’Office fédéral de la santé suisse.
Concernant le deuxième type d’argument, on constate aujourd’hui, après que les experts se sont réunis au niveau central en Europe, que le discours majoritaire est de dire qu’il ne faut pas s’inquiéter- et on entend certains reprocher aux Pays-Bas d’avoir pris des mesures trop strictes et sans concertation - que les mesures en question sont du ressort de l’Union . Pour autant, certaines formations politiques réclament des mesures plus précises, en effet les risques d’extension sont jugés par l’Union Européenne préoccupants. Tous les signes semblent donc indiquer que nous sommes à la veille d’une extension de la grippe aviaire, mais en même temps les autorités se veulent rassurantes. Certains faits plus ou moins proches de nous nous conduisent effectivement à la prudence. Ainsi, au cours de l’épidémie de 1983-1984 aux Etats-Unis, le virus H5N2, peu mortel au départ, est devenu hautement pathogène en six mois, avec un taux de mortalité avoisinant les 90 %. Pour endiguer cette épidémie, il a fallu sacrifier plus de 17 millions d’oiseaux et dépenser près de US $65 millions. Au cours d’une épidémie de 1999 à 2001 en Italie, le virus H7N1, faiblement pathogène à l’origine, a muté en 9 mois. Plus de 13 millions de volailles sont mortes ou ont été abattues. Vous pouvez retrouver ces informations sur l’aide-mémoire de l’OMS en date du 15 janvier 2004.
Enfin concernant le troisième type d’argument, certains experts comme Jeanne Brugère-Picoux , spécialiste en zoonose à l’école vétérinaire de Maison Alfort, pensent que le risque de transmission à l’homme viendrait plutôt des porcs que des volailles, cet animal pourrait en effet avoir "un rôle intermédiaire en permettant un réassortiment viral"
Dans ce débat d’experts, il faut bien reconnaître qu’il est difficile de savoir qui il faut croire. Mais nul doute que le danger réel ne se limite pas à une simple psychose médiatique. C’est pourquoi la question des traitements est vraiment centrale, or actuellement au-delà des effets d’annonce certes généreux, voire indispensables et allant dans le bon sens, on ne sait pas comment cela se passerait si la pandémie se développait. Trois millions de doses d’antiviraux au niveau mondial, cela reste infime.
- Plan de lutte contre une "pandémie grippale", document de 50 pages ;
* les centres 15 sont les centres d’appel d’urgence médicale qui gèrent, orientent et déclenchent les Samu
- Organisation de la gestion de crise "Santé", document de 1 page ;
- Composition des différentes cellules intervenant dans le plan "pandémie grippale", document de 4 pages ;
- Suivi de la situation sanitaire (InVS), document de 8 pages ;
- Rôles et actions des services déconcentrés, document de 1 page
- Organisation des "centres 15"* et des transports, document de 2 pages ;
- Information et organisation des professionnels de santé dispensant des soins ambulatoires, document de 2 pages ;
- Organisation des établissements de santé, document de 2 pages ;
- Mesures de prise en charge médicale des malades atteints de grippe et de leurs contacts, document de 6 pages ;
- Mesures barrières, document de 3 pages ;
- Prélèvement naso-pharyngénaso-pharyngé : utilisation du kit de prélèvement viral, fiche d’information, document de 2 pages ;
- doctrine d’utilisation des antiviraux, document de 4 pages ;
- Avis du CSHPF relatif à l’utilisation des antiviraux anti-neuraminidasesanti-neuraminidases en cas de pandémie grippale à virus influenza A/H5N1 suite à l’épizootie de grippe aviaire sévissant en Asie en situation de pénurie d’antiviraux antineuraminidaseantineuraminidase (avis électronique du 16 février 2004), document de 3 pages ;
- Doctrine d’utilisation des vaccins, document de 3 pages ;
- Recommandation du CSHPF relative à la stratégie vaccinale en cas de pandémie grippale, en fonction des disponibilités du vaccin adapté au virus pandémique, document de 2 pages ;
- Principes de définition des populations prioritaires pour le protection, la prophylaxie et le traitement, document de 2 pages ;
- dispositions relatives aux personnes décédées, document de 1 page ;
- Liaisons assurées par les ministères avec les organisations internationales, document de 2 pages
NDLR : D’autres ressources traitant de la grippe aviaire sont disponibles ici :
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