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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Une langue bien dangereuse

Une langue bien dangereuse

Une langue bien dangereuse. Ou pour reprendre la formule de l'Harmattan qui a édité le livre : L'espéranto, langue dangereuse. Tel est le titre de la traduction en français de La danĝera lingvo, essai historique élaboré il y a quelques décennies par l'Allemand Ulrich Lins. J'ai rencontré à Strasbourg Pierre Dieumegard, qui a coordonné la traduction de l'ouvrage en français. Et je lui ai posé la question : comment diable une langue peut-elle être dangereuse ?

Il me répond que la langue n'est pas forcément dangereuse, mais qu'elle peut être perçue comme telle par les élites de notre temps. Par exemple au micro de France Inter un linguiste a récemment affirmé que l'espéranto n'était pas capable d'exprimer des nuances. Donc évidemment cette langue ne peut être la langue d'un peuple, pour être le miroir de ses émotions. Et l'apprentissage forcé de l'espéranto à une échelle populaire pourrait rendre le peuple encore plus bête qu'il n'est déjà, en lui barrant la route à la pensée nuancée.

Pourtant, d'après Pierre Dieumegard, l'espéranto n'est pas dangereux pour le peuple. Pour la bonne et simple raison, que l'espéranto n'est pas pour le peuple, mais pour la communication entre les peuples. C'est une langue internationale. Et toujours d'après lui, lorsque l'on regarde l'Histoire, les peuples ont beaucoup moins à craindre de l'espéranto que leurs dirigeants. C'est d'ailleurs tout l'objet de l'étude historique dont il a supervisé la traduction en français.

Alors évidemment, lorsque je parle de nos dirigeants, je ne parle pas de nos dirigeants actuels, qui sont extrêmement gentils, puisque dans l'occident démocratique et le camps du bien. Non, je parle des dictateurs extrêmement méchants comme Adolf Hitler et Joseph Staline. On ne va pas s'attarder sur le premier, puisque l'espéranto a été inventé par un Juif. Or c'est un secret pour personne, Adolf Hitler n'aimait pas les Juifs, il n'avait pas d’appétence particulière à leur égard.

Donc fort logiquement il a critiqué l'espéranto comme une chimère "issue d'un cerveau juif" et il n'a pas fait de cadeau particulier à ses locuteurs. D'ailleurs il est à noter que la communauté des locuteurs de l'espéranto est la seule minorité avec les Tziganes qui a eu à souffrir des persécutions et des nazis et des communistes staliniens. Mais pourquoi diable Joseph Staline en avait-il après les espérantistes ? L'ouvrage d'Ulrich Lins ne donne pas à proprement parler de réponse définitive à cette question.

En consultant d'autres documents, notamment la correspondance de Trotsky, on se rend compte que Staline a appris l'espéranto quand il était en prison, suite à un coup d'État manqué. Mais d'après Trotsky, Staline n'avait pas les capacités intellectuelles pour apprendre une langue, même aussi facile que l'espéranto. En fait il a essayé d'apprendre. Et la stratégie politique de Staline, toujours avancer au niveau de la ligne de plus faible résistance, s’accommodait peu de quelque apprentissage que ce soit.

Cependant, Ulrich Lins a rassemblé des documents intéressants, comme le seul et unique article que Staline ait écrit dans le journal Pravda. Pradva qui signifie vérité en russe. Donc la seule et unique fois où Staline a pris la plume pour s'exprimer dans le journal phare de la pensée soviétique, ce fut pour dénigrer l'espéranto. Ou pour être plus précis, ce fut pour critiquer âprement la pensée du linguiste Marr, qui développait une théorie dans laquelle l'espéranto pouvait jouer un rôle de langue pont entre les peuples.

Alors évidemment, personne n'a osé critiquer la vision du petit père des peuples, et de toute façon s'il y en avait eu, les critiques auraient disparu, et de l'Histoire, et de son récit. Aujourd'hui cependant, on peut parler librement de l'espéranto, et de l'utilité qu'il pourrait avoir pour la communication entre les peuples. D'ailleurs une liste se présente aux élections européennes, sous l'intitulé Espéranto langue commune. C'est la liste présentée par le parti Europe Démocratie Espéranto.


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Pour aller plus loin :


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21 réactions à cet article    


  • Gégène Gégène 14 mai 09:05

    « Mais d’après Trotsky, Staline n’avait pas les capacités intellectuelles pour apprendre une langue, même aussi facile que l’espéranto »

    Bien sûr, bien sûr smiley


    • beo111 beo111 14 mai 22:16

      @Gégène

      Oui bon OK d’après d’autres sources il l’a appris. Il ne faut pas forcément croire Trotsky.

      Sur la page Wikipédia en espéranto sur Staline on peut lire (traduction GoogleTranslate) :

      En 2007, l’auteur Simon Sebag Montefiore a remporté plusieurs prix pour sa biographie Jeune Staline (« Le jeune Staline »)*. Il était déjà réputé comme bibliographe sur le dictateur soviétique, grâce à son ouvrage précédent Staline : La Cour du Tsar Rouge (« Staline : la cour du tsar rouge »), qui a reçu en 2004 le prix britannique Livre historique du année . Dans l’ouvrage Le jeune Staline, p. 212, Montefiore écrit : « Durant ses sept mois dans la célèbre prison de Bajlovka à Bakou... Staline a lu (et) étudié l’espéranto, qu’il considérait comme la langue du futur. Dans une note de bas de page, il ajoute la phrase : « Après avoir accédé au pouvoir, il a persécuté et arrêté les espérantophones ». (Voir « Grande purge »). En consultant les notes complètes du livre sur la page web de Montefiore (http://www.simonsebagmontefiore.com), on se rend compte que la source de cette information était un Gorian nommé Ilia P. Nadiradze, qui partageait un lit avec Staline dans la prison. Montefiore a trouvé cette citation dans la branche d’État géorgienne de l’Institut du marxisme-léninisme à Tbilissi, Géorgie, GF IML 8.2.1.35-49.


    • Gégène Gégène 14 mai 23:56

      @beo111

      J’ignorais qu’il avait pratiqué l’espéranto, mais le désigner comme limité intellectuellement, faut oser. Déjà sa langue jusqu’à huit ans était le géorgien, âge à partir duquel il a rapidement appris le russe. Il était autodidacte, connaissait la littérature française par ex.
      A son sujet, un article de la revue Geo que l’on ne peut suspecter de complaisance envers lui.
      Enfin, Churchill lui-même reconnaissait sa grande intelligence . . .


    • beo111 beo111 15 mai 10:08

      @Gégène

      Bon c’était pas un âne mais ce n’était non plus quelqu’un d’une grande intelligence. Car si ça avait été le cas, il aurait manipulé ses collaborateurs au lieu de les éliminer.


    • Montdragon Montdragon 15 mai 10:30

      @Gégène
      Qui croit les bouches qui mentent ?
      Les imbéciles.


    • Sirius Sirius 14 mai 09:24

      la langue pont entre les peuples ?

      c’est celle des avions, non ?

      le globish

      c’est comme ça que les pilotes communiquent entre eux et avec les tours de contrôle, et c’est le code (plutôt que la langue) servent à la signalétique dans tous les aéroports internationaux, doublés éventuellement de l’idiome local : 

      lien


      • Sirius Sirius 14 mai 09:32

        @Sirius

        de même que l’histoire est écrite par les vainqueurs,
        la langue dominante est celle des maitres des empires : le latin en est un exemple
        la question est de savoir si un jour les relations entre les individus et entre les peuples seront autre chose que le rapport dominant/soumis


      • Sirius Sirius 14 mai 09:38

        @Sirius

        je ne sais pas si feu l’esperanto était dangereux, mais une langue peut être considérée comme dangereuse par les dirigeants de certains pays, et dans ce cas, ils en onterdisent l’usage à l’école, au travail et dans les lieux publics : basque, breton, berbère, kurde, russe, etc.


      • beo111 beo111 14 mai 21:58

        @Sirius

        En tout cas sous Staline l’espéranto était interdit purement et simplement dans toute l’URSS.

        Mais il est à noter que l’espéranto fut aussi interdit en France dans les écoles, du fait d’une circulaire du ministre Léon Bérard.


      • Krokodilo Krokodilo 14 mai 09:39

        J’ai lu ce bouquin il y a quelques années. Bien qu’exacte, cette crainte des dictatures de tout poil vis-à-vis de l’espéranto me semble de « vieilles lunes », d’un temps et d’enjeux qui ne parlent pas aux jeunes. Par contre, dans le contexte européen effectivement, l’espéranto comme langue de communication, langue-pont entre les peuples, est un danger pour l’anglais et tous ceux qui veulent l’officialiser comme langue de l’UE ce qu’il est déjà de fait.


        • docdory docdory 14 mai 15:12

          @Krokodilo
          Le grand problème de l’esperanto est qu’il y a très peu d’enfants dans le monde dont l’esperanto est la langue maternelle. Donc, lorsque de tels enfants arrivent à l’école, ils n’ont presque aucune chance de trouver un condisciple espérantiste, et donc devront s’exprimer dans la langue locale pour pouvoir parler à quelqu’un. Il n’y a de savoir qu’exercé, par conséquent ces enfants abandonneront très vite la pratique de l’espéranto pour s’exprimer dans la langue locale parlée par tous leurs copains de classe. C’est pourquoi l’esperanto ne s’est jamais réellement répandu et ne pourra jamais réellement se répandre de façon significative.


        • Krokodilo Krokodilo 14 mai 17:37

          @docdory Bonjour, ça fait longtemps. Il serait facile de remplacer l’anglais imposé au primaire par une année d’espéranto, plus polyvalent, plus logique grammaticalement, plus européen et plus international, plus propédeutique (grammaire, apprentissage de sons inexistants en français). Mes enfants en ont fait un peu par tradition familiale et ont ensuite de suite compris les questions de préfixes-suffixes posées par l’instit à l’école, grâce au côté « Lego ». Rien n’empêcherait de choisir ensuite l’anglais en 6e.
          Je crois plutôt que l’obstacle est politique, le rejet culturel de l’espéranto en France se conjuguant à l’immense pression pro-anglais que je ne détaille pas... Comme dit par Sirius, chaque empire impose sa langue, et les élites culturelles françaises ( hebdomadaires politiques, Télérama, les milieux pédagogiques, etc.), rejettent l’espéranto pour la même raison, plus ou moins consciemment, plus ou moins aussi par ignorance du sujet, en tant qu’ancien empire déclassé... C’est en tout cas mon avis : la question des langues, et particulièrement d’une langue de communication européenne ou internationale, est avant tout politique au sens vie de la société, c’est-à-dire ni technique ni pédagogique.


        • Doume65 16 mai 19:11

          @docdory
          « y a très peu d’enfants dans le monde dont l’esperanto est la langue maternelle »
          Il n’y en aucun, en fait. L’espéranto n’est une langue vernaculaire pour personne. Et le but but de sa création a été d’être une langue véhiculaire.


        • Thierry SALADIN Thierry SALADIN 17 mai 16:07

          @Doume65

          « Il n’y en a aucun, en fait » dites-vous avec assurance.

          Finalement vous vous êtes trompé de peu, de très peu, car il y en a un : un seul. Et le voici :
          https://www.youtube.com/watch?v=l0ErKbLL5WQ

          Mi salutas vin.

          Elkore.

          Thierry Saladin


        • beo111 beo111 20 mai 18:21

          @Thierry SALADIN

          Il y a mon fils aussi :

          https://www.youtube.com/watch?v=14P_OvORjYQ

          Et ma fille aussi depuis. En fait selon les estimations il y aurait actuellement sur Terre un bon millier de personnes ayant l’espéranto comme langue maternelle.


        • Gégène Gégène 14 mai 10:14

          Je viens d’aller voir sur le site Duolingo :

          à partir de l’anglais il y a plus d’apprenants en klingon (Star Trek), et moins en navajo par rapport aux apprenants en espéranto.

          On est quand même là en fond de tonneau . . .


          • Sirius Sirius 14 mai 11:28

            @Gégène

            le tonneau n’a pas de fond, comme celui des Danaïdes qui, en fait, était une jarre puisque le tonneau est une invention gauloise inconnue des Grecs de l’antiquité (les Grecs actuels ayant comblé le retard pour encaver le retsina)


          • beo111 beo111 14 mai 21:49

            @Gégène

            Peut-être que l’espéranto est moins appris que le klingon sur Duolingo en anglais, mais il est plus utilisé. Par exemple il n’y a pas de Wikipédia en klingon, alors que le wikipedia en espéranto a plus de 350 000 pages.

            Si vous parlez anglais, une petite curiosité : un prof australien enseigne l’espéranto par méthode directe, sans aucune interaction, juste par vidéo. Il faut juste comprendre les 5 premières minutes en anglais, et après, c’est l’immersion totale :

            https://www.youtube.com/watch?v=IZPzSIemRz4


          • Gégène Gégène 15 mai 00:07

            @beo111

            Merci pour le lien smiley


          • Hervé Hum Hervé Hum 15 mai 18:31

            Merci à l’auteur pour se rappel.

            Avec l’arrivée des traducteurs automatique on pourrait penser que l’espéranto est dépassé, mais je ne le pense pas, bien au contraire.

            La menace d’une langue commune (qui devrait être apprise en seconde langue), pont entre les peuples reste toujours présente, car la langue est le premier vecteur de communication et la qualité de l’espéranto à ce qu’il me semble est sa simplicité et qu’elle évite bien plus les fumeuses « nuances » qui servent surtout à manipuler les gens par la technique de la confusion. Perso, j’avoue avoir eut la flemme de l’apprendre.

            Mais bon, il est vrai que tant qu’une majorité continuera à vénérer les causes dont elle déplore les conséquences, bref, d’être aussi stupide, les élites de tout pays n’ont rien à craindre.

            Pourtant, la preuve est élémentaire, mais il y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.

            Prenez le cas de la France, le français est langue commune depuis le XIXème siècle, avant cela, chacun parlait une langue régionale ou le patois du coin et il a fallut le forcing du pouvoir central pour en faire la langue parlé par tous et ceci, ben, pour cimenter l’identité nationale.

            Bref, les gens se lamente d’un monde en guerre, d’un droit international qui n’a pas de force d’application, de dirigeants qui se comportent comme des chefs de gangs ou de mafia, mais persistent à soutenir ce qui leur permet de continuer à agir ainsi, c’est à dire, une souveraineté nationale qui a toujours été celle de l’élite dirigeante et ne peut pas en être autrement, car la guerre ou menace de guerre nécessite toujours d’avoir des chefs de guerre (que ce soit militaire ou économique) où la paix est leur pire ennemi, car elle supprime leur nécessité et la soumission volontaire des peuples qui va avec.

            Les idiots utiles étant ceux qui croient que l’élite occidentale est mondialiste, rien de plus absurde !


            • Mozart Mozart 16 mai 13:20

              Oui, il y a aussi le volapük... Si ça fait plaisir à certain, pourquoi pas ?

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