L'Ukraine n'est pas partiellement russophone "depuis l'URSS", elle l'est depuis mille ans. La Rus de Kiev est le berceau de la Russie. Saint Vladimir, fondateur de la Russie par son baptême à Chersonèse (Crimée), était prince de Kiev, et sa petite-fille la reine de France Anne, épouse d'Henri 1er (petit-fils d'Hugues Capet), était princesse de Kiev. Certes quand le centre de gravité de la Russie s'est déplacé vers la Moscovie on a alors appelé la région de Kiev Malorussie (Petite Russie), par opposition à la Grande Russie (Moscou) et la Biélorussie, littéralement Russie Blanche. Certes aussi à l'époque de Saint Vladimir on parlait plutôt dans toutes ces régions le vieux slavon, ancêtre du russe moderne et de l'ukrainien actuel, qui d'après les critères du grand linguiste Ferdinand de Saussure ne sont que deux dialectes de la même langue puisqu'ils sont intercompréhensibles (comme le néerlandais, le flamand et l'afrikaans par exemple). Tandis que la Malorussie (région de Kiev) est restée russe, le sud du territoire ukrainien actuel, byzantin (grec) a été annexé à l'empire ottoman après la chute de Constantinople (1453), et est resté turc pendant trois siècles, jusqu'à sa libération ou reconquête par Catherine II en 1769, puis annexée en 1783 sous le nom de Novorussie signifiant Nouvelle Russie. Tout cela est bien antérieur à l'industrialisation de l'Ukraine par le régime soviétique. Quant à la partie de l'Ukraine qui a été prise aux voisins occidentaux de l'URSS en 1946, c'est essentiellement la Galicie plus quelques petits territoires pris à la Pologne, la Hongrie et la Roumanie, où là la langue russe n'avait pas d'antériorité.
Les "occidentaux" n'ont pas rejoint les insurrections en Ukraine fin 2013, ils les ont provoquées. Les Etats-Unis ont ultérieurement admis avoir dépensé 5 milliards de dollars sur dix ans pour préparer ce coup d'Etat qu'ils appellent démocratisation, et on connaît le rôle de l'organisation Otpor commanditée par Soros. L'Union Européenne a facilité puis couvert le déploiement des tireurs d'élite géorgiens, tchétchènes et lituaniens sous commandement "privé" (corsaire) étatsunien qui abattaient simultanément des manifestants et des policiers pour radicaliser les affrontements. L'UE a fait renverser le président Viktor Yanoukovitch parce qu'il refusait la clause léonine de l'accord d'association avec l'UE obligeant à couper tout lien économique avec la Russie. Le coup d'Etat du 22 février 2014 n'a pas amené un "gouvernement pro-européen" stricto sensu mais le parti national-socialiste, rebaptisé "liberté" (Svoboda) en 2004, que le parlement européen qualifiait encore de "nazi" le 13 décembre 2012 (un an avant Maïdan) en interdisant formellement tout contact entre des députés uniopéens et des membres dudit parti ukrainien. La première chose que fit le régime issu du coup d'Etat fut d'abolir la constitution ukrainienne de 1996, puis d'envoyer l'armée et les milices contre les manifestants du sud-est qui manifestaient contre le coup d'Etat, avec l'objectif déclaré de déporter la population "russophone" (la pousser jusqu'en Russie) mais l'objectif réaliste d'exclure et isoler ces régions puisque leur participation aux élections futures ne pouvait que ramener un gouvernement dit "prorusse", comme deux fois dans les dix années antérieures (chaque fois que des élections libres ont été organisées) car la population ukrainienne est majoritairement "prorusse" même après soustraction de la population criméenne.
La Crimée n'était pas formellement "indépendante" avant son annexion en 1783, elle était un khanat (province autonome) de l'empire turc, comme les territoires d'Afrique du nord à la même époque. Encore une fois, elle était turque depuis trois siècles, étant avant la chute de Constantinople partagée entre l'empire byzantin et la république de Gênes (donc de culture grecque et latine sur le substrat slavon). L'auteur de l'article écrit qu'en 2014 le referendum a eu lieu "alors que des forces russes sont déjà présentes", sans autre précision comme si elles venaient d'arriver. En vérité l'accord de 1997 par lequel l'Ukraine avait laissé une partie du port de Sébastopol à disposition de la flotte russe de la Mer Noire jusqu'en 2017 (ultérieurement étendu à 2042), pas gratuitement évidemment, autorisait la présence de 25000 soldats russes pour protéger la zone, mais il n'y en avait que la moitié début 2014. Lors du referendum ces forces russes légalement présentes n'ont pas supervisé les bureaux de vote comme l'armée française dans le Comtat Venaissin en 1791, mais seulement empêché l'armée ukrainienne de sortir de ses casernes pour interdire le referendum, à Sébastopol (dans le reste de la Crimée il n'y avait pas de garnisons russes). Personne n'a réellement "suspecté" un bourrage des urnes, ceux qui l'ont prétendu mentaient car ils auraient pu se joindre aux observateurs de tous pays invités par la Crimée pour observer la tenue du referendum et qui constatèrent sa transparence, contrairement au referendum à Mayotte en 2009 (expressément interdit par l'ONU) où la France n'a accepté aucun observateur étranger, en dépit de la demande des Comores.
Dire qu'il y avait X% de Russes ou d'Ukrainiens en Crimée avant ou après la réunification peut laisser croire à des transferts de population et non pas de citoyenneté. En fait en 2013 la quasi-totalité des Criméens, qu'ils fussent d'anciens Soviétiques ou nés après 1991, avaient la nationalité ukrainienne (même s'ils se disaient "russes" comme certains Canadiens se disent "français"), sauf les milliers de Tatars revenus sur la terre de leurs ancêtres (l'URSS les avait déportés pour "collaboration collective" avec l'Allemagne) mais que l'Ukraine considérait comme apatrides ou Ouzbèques en leur refusant la nationalité ukrainienne, raison pour laquelle ils furent enthousiasmés (sauf la chanteuse Suzanne dite Djamila) de recevoir la nationalité russe dès la réunification en 2014. Après la réunification la quasi-totalité des Criméens obtinrent la nationalité russe, sauf quelques irrédentistes malorusses ou novorusses qui la refusèrent et restèrent comme Ukrainiens "immigrés".
"La Crimée sort donc de l'Ukraine" après le referendum est une erreur de chronologie, car le parlement de Crimée a constaté la restauration de l'indépendance le 11 mars et le referendum sur la réunification avec la Russie s'est tenu le 16, la Crimée étant alors de jure indépendante. Pour mémoire la Crimée avait proclamé son autonomie dès le 20 janvier 1991, l'Ukraine l'a fait le 24 août (après l'échec du coup d'Etat du 19 à Moscou) et les deux se sont retrouvées indépendantes à la dissolution de l'URSS le 26 décembre. La Crimée a immédiatement rédigé sa constitution (d'Etat post-soviétique indépendant) et l'a proclamée dès le 5 mai 1992 ; l'Ukraine ne l'a fait que le 28 juin 1996, et la Crimée y alors adhéré, renonçant à son indépendance acquise quatre ans plus tôt, en échange d'un statut d'autonomie très large. Le coup d'Etat du 22 février 2014 à Kiev ayant officiellement aboli la constitution de 1996 (elle fut rétablie –altérée– plus tard) par laquelle la Crimée avait adhéré comme région autonome à l'Ukraine, la Crimée s'est donc retrouvée indépendante, et l'a proclamé le 11 mars, avant d'annoncer le referendum sur la réunification avec la Russie.
Il est anachronique de voir dans les "sanctions" (en droit international des mesures coercitives illicites et illégitimes car seule une organisation internationale peut prendre une sanction contre un de ses membres et les contre-mesures licites ou légitimes sont bien répertoriées) une réaction au referendum ou à l'annexion par la Russie, puisqu'elles ont été annoncées par l'Union Européenne le 3 mars, donc avant la proclamation d'indépendance de la Crimée le 11, l'annonce du referendum (le 11 également) et sa tenue (le 16) et enfin la réunification avec la Russie (demandée le 17 et acceptée le 18). Ces mesures d'hostilité n'étaient donc pas réactives mais avaient pour but manifeste de soutenir le coup d'Etat du 22 février. Accessoirement les navires que la France refusa de livrer à la Russie qui les avait payés n'étaient pas de petites "vedettes maritimes" mais les Bâtiments de Projection et de Commandement (porte-aéronefs transport de troupes et hôpital) Vladivostok et Sébastopol de classe Mistral, à savoir des bâtiments de première ligne.
Autre approximation, le principe d'intégrité des Etats ne s'applique qu'aux relations entre Etats et n'est pas opposable à l'autodétermination d'une composante d'un Etat, d'après l'avis consultatif 2010/25 de la Cour Internationale de Justice (ONU), qui liste trois siècles de jurisprudence pour montrer qu'une déclaration d'indépendance (même sans referendum d'ailleurs) ne viole pas le droit international. Quant à la France, elle n'a jamais quitté l'Alliance Atlantique mais seulement l'OTAN (l'organisation militaire), et si c'est le président Sarközy de Nagy-Bocsa qui a signé le retour dans l'OTAN cela avait été décidé sous son prédécesseur Chirac, celui qui avait sabordé l'Union de l'Europe Occidentale ressuscitée par Mitterrand. Pour mémoire le traité de l'UEO comportait une obligation d'entrer en guerre en cas d'agression extérieure contre un autre membre, tandis que le traité de l'Alliance Atlantique n'en comporte que l'option facultative, la doctrine de "riposte graduée" des Etats-Unis interdisant un engagement formel d'intervention militaire ou nucléaire en cas d'agression soviétique en Europe.
L'auteur entre tardivement dans son sujet de titre, la tension entre l'Ukraine et la Russie d'après les Etats-Unis, et tout ce qui précède est plus intéressant que pertinent car ce que le gouvernement ukrainien entend reconquérir ou écraser un jour est la portion de Novorussie poussée en 2014 à l'indépendance (républiques de Donetsk et Lougansk), mais il n'a aucune ambition ou illusion sincère concernant la Crimée. Accessoirement il y a ici une opportunité de rectifier une interprétation erronée de la traduction française courante du nom des républiques de Donetsk et Lougansk, qu'on qualifie d'ailleurs systématiquement d'autoproclamées comme si les républiques d'Ukraine, de Russie ou de France avaient, elles, été proclamées par des autorités ou pays tiers. L'expression "narodnaya respublika" (народная республика) ne signifie pas "république populaire" au sens de communiste comme on l'entendait en français au siècle dernier. Narodna signifiant nation ou peuple, l'expression veut simplement dire Etat du "peuple de Donetsk" (ou de Lougansk), au sens de république "donetskienne" en l'absence d'adjectif spécifique aux peuples actuels du bassin du Don. Pour tout rappel sur les événements de 2014 et leurs conséquences on peut revoir l'article "Crimée et Ukraine" du 16 mars 2014 (
http://stratediplo.blogspot.com/2014/03/crimee-et-ukraine_16.html) et la quarantaine d'articles suivants.
On ne peut en tout cas qu'approuver les conclusions implicites et explicites de l'auteur, à savoir que la Crimée est russe, que la France n'est pas directement concernée par les projets ukrainiens concernant Donetsk et Lougansk ou les projets étatsuniens concernant la Russie, et qu'elle doit restaurer son indépendance stratégique et sa pertinence diplomatique, en commençant par quitter l'OTAN et neutraliser l'Alliance Atlantique.
On aurait voulu avoir le temps d'écrire la semaine dernière sur les déclarations étatsuniennes, mais le gouvernement ukrainien a suffisamment dénoncé cet alarmisme hystérique sans fondement, jusqu'au président Zelenski qui a publiquement prié son pair Biden d'arrêter d'annoncer une invasion dont l'état-major ukrainien ne voit aucun signe.
Les deux questions qui restent en suspens sont d'une part la date de l'attaque finale de l'Ukraine contre Donetsk et Lougansk, dont la préparation semble s'accélérer mais qui peut être dissuadée, et d'autre part la date de l'attaque de l'UE et l'OTAN contre la Russie, qui reste imprévisible mais certaine pour les raisons exposées dans le Onzième Coup de Minuit de l'Avant-Guerre (
https://www.amazon.fr/onzième-coup-minuit-lavant-guerre/dp/1913057984).