La masse du boson W défie les physiciens : quelle est cette révolution scientifique qui se dessine ?
« "C'est un travail monumental", a déclaré Frank Wilczek, physicien lauréat du prix Nobel au Massachusetts Institute of Technology, "mais il est très difficile de savoir quoi en faire" (…) "Dans l'ensemble, j'ai l'impression que nous approchons du point où quelque chose va casser", a déclaré El-Khadra. "Nous nous rapprochons d'une vision au-delà du modèle standard." » (Wood, 2022)
La communauté des physiciens a été plus que troublée par les résultats obtenus sur la masse exacte du boson W publiée le 7 avril 2022 dans la revue Science par un collectif de presque 400 chercheurs affiliés au Fermilab. Ces scientifiques ont recalculé la masse de W et ont trouvé une sérieuse anomalie, exposée ainsi : « Les bosons W sont les médiateurs de l’interaction faible, l’une des forces fondamentales de la physique. Étant donné que le modèle standard (MS) de la physique des particules impose des contraintes strictes sur la masse du boson W, la mesure de la masse met le MS à l’épreuve. La collaboration Collider Detector at Fermilab (CDF) fournit une mesure précise de la masse du boson W extraite des données obtenues dans l’accélérateur de particules Tevatron. Étonnamment, les chercheurs ont découvert que la masse du boson était significativement plus élevée que ce que prédit le modèle, avec un écart de 7 sigmas » (Aaltonen, 2022). Cet écart est largement suffisant pour valider la mesure. En physique des particules, la détection « d’évènements » est quantifiée en nombre de sigmas. Ce nombre est calculé par la différence entre la valeur observée et la moyenne attendue en l’absence d’évènement. En physique des hautes énergies, un résultat est considéré comme significatif à partir de 5 sigmas, chiffre indiquant une probabilité d'erreur inférieure à 0,00006 % (soit niveau de confiance de plus de 99,99994 %).
Cette anomalie oblige les physiciens à revoir le modèle standard, comme le suggère l’éditorial de Science consacré à cette découverte, publiée conjointement à l’article par Campagnari et Mulder. Qui mettent l’accent sur les failles du modèle standard en le contextualisant avec la crise de la physique : « Le modèle standard est connu pour être incomplet et présente des lacunes notables, telles que son incapacité à prendre en compte la matière noire dans l’univers ou à inclure la gravité de manière cohérente. Les physiciens ont recherché des observations défiant directement le MS dans l'espoir de trouver des indices sur ce à quoi pourrait ressembler une théorie plus complète. Bien qu’aucune « nouvelle » particule n’ait encore été découverte, quelques fissures ont récemment été décelées dans le MS par des mesures précises qui contredisent les prédictions du modèle (…) la collaboration (CDF) ajoute une autre énigme avec sa mesure de la masse du boson W. »
Le boson W peut être chargé positivement ou négativement. Ces deux particules assez massives sont médiatrices de la force faible avec le Z qui est neutre. En physique des particules, les bosons sont les « composants » énergétiques censés transmettre les forces fondamentales en parcourant le champ qui est leur « milieu » naturel. Ils tirent leur dénomination du physicien Bose qui décrivit avec Einstein le comportement statistique de ces étranges particules ne pouvant être discernables lorsqu’elles occupent un état d’énergie. A l’inverse, les fermions dans un système ne peuvent pas occuper plus d’un état et sont régis par le principe d’exclusion de Pauli. Cette loi explique pourquoi dans un atome on ne trouve qu’un électron sur son orbitale. En revanche, les photons peuvent occuper un état énergétique en nombre indéfini et c’est ce qui explique comment la force électrique peut varier selon le nombre de photons (virtuels) échangés par les particules chargées. Les fermions sont du genre source et les bosons du genre champ. J’ai pour ma part interprété les bosons comme des signaux permettant à la matière de communiquer ; (une force, une information, une forme).
Les bosons faibles, W+, W- et Z, transmettent la force faible disent les physiciens. Cependant, la notion de force n’épuise pas le sens physique de cette transaction entre particules responsables de la désintégration des noyaux instables et dont l’effet et de transformer un neutron en un proton, ou carrément de fissionner un atome. Dans premier cas, le numéro atomique (Z, nombre de protons) s’accroît d’une unité, et le nombre de neutrons (N) diminue d’une unité. C’est ce qui se passe lors d’une désintégration de type « bêta moins » assortie de l’émission d’un positron. On obtient l’inverse avec la désintégration « bêta plus » qui convertit un proton en neutron moyennant l’émission d’un électron. L’atome change alors de propriétés chimiques sans que le nombre de masse (A, nucléons) ne change. C’est ce qu’on observe lors de la transformation du carbone 14 (6, 14) en azote (7, 14) avec un neutron « muté » en proton. Dans le second cas A est changé. C’est le cas de la désintégration alpha. Par exemple lorsqu’un atome d’uranium 238 se fissionne pour générer un atome de thorium en émettant un noyau d’hélium (2, 4).
La force faible produit des réactions dans le noyau comme la force électrique produit des réactions chimiques grâce aux électrons « portés » par les noyaux atomiques qui restent intacts dans ces processus. Une « réaction » nucléaire se traduit par une substitution de quark. Dans les deux diagrammes suivant, on peut remplacer n par udd et p par uud ; u désignant le quark up et d le quark down. La règle intangible de conservation de la charge est vérifiée et pour réaliser la conservation de l’énergie, un neutrino ν complète la liste des « particules » engagées dans cette réaction causée par l’instabilité de l’isotope.
i) n → p+ + W- → p+ + e- + ν
ii) p+ → n + W+ → n + e+ + ν
Comment interpréter alors cet excès de masse du boson W qui n’est qu’un intermédiaire entre l’état initial et l’état final ? Raisonner en termes de masse n’est pas approprié. C’est l’énergie qui compte et en physique quantique, une énergie est indissociable de l’information qui est contenue dans une particule ou alors échangée, par un photon, par un boson W. Le modèle standard a calculé la masse du W à partir d’un ensemble d’observations, mesures, paramètres, règles de symétrie, de conservation, y compris l’énergie du quark le plus lourd, le top, la durée de vie du muon, le couplage électromagnétique. Résultat, d’après les calculs standards, le W a une énergie-masse de 80357 MeV. Or, la nouvelle mesure donne 80433 MeV, ce qui fait un écart d’environ un millième, suffisamment significatif pour faire dire aux physiciens que le modèle a une anomalie assez sérieuse dont il faut chercher l’origine car le problème vient du modèle et non pas de la mesure qui elle, en tant qu’observation expérimentale, est sacrée, sous réserve qu’elle ait été correctement effectuée. L’anomalie dans le calcul a deux causes bien distinctes ; ou bien une erreur dans la prise en compte des paramètres, autrement dit un problème technique ; ou bien une réalité physique qui n’est pas prise en compte dans le modèle. Si une réalité n’est pas « capturée » par le modèle, deux possibilités s’offrent ; ou bien une propriété des interactions modélisées a échappé aux modélisateurs ; ou bien une autre « force » externe à la physique du modèle vient interférer avec comme résultat une incrémentation de l’énergie-masse du W évaluée à 80 MeV, quelque 160 fois l’énergie-masse de l’électron et pas très loin de la masse du muon observée vers 200 MeV.
Quelle serait alors cette force externe ? Les paris sont ouverts. La solution de l’énigme doit être cherchée à l’intérieur du jeu des particules, par exemple avec la supersymétrie, ou alors en dehors de ce jeu, avec une instance externe. Je pencherais en faveur de la seconde option en invoquant de la gravité quantique sous réserve que l’on puisse définir exactement quelle est l’origine de ce surcroît d’énergie qui est aussi un élément d’information supplémentaire. Si cette énigme est résolue, alors nous accéderons à la troisième conception de la gravité (quantique) comme instance qui règle grâce à une communication quantique la disposition des masses dans le cosmos. Autrement dit une vision inspirée de la doctrine du Logos comme instance gouvernant les parties et le Tout selon Héraclite.
L’option de la gravité comme instance gouvernant les parties et les particules se confirme. Ce qui pourrait résoudre le problème de la hiérarchie et la question cosmologique de la matière ou énergie noire. Les physiciens pressentent un basculement sans en donner une image physique claire.
Aaltonen, T. et al. ; High-precision measurement of the W boson mass with the CDF II detector ; Science, 2022 Vol 376, Issue 6589, pp. 170-176
https://doi.org/10.1126/science.abk1781
Dugué, B. Temps, émergences et communications, Iste éditions, 2017
https://iste-editions.fr/products/temps-emergences-et-communications
Wolchover, N. ; A Deepening Crisis Forces Physicists to Rethink Structure of Nature’s Laws ; Quanta magazine, 03/2022.
Wood, C. ; Newly Measured Particle Seems Heavy Enough to Break Known Physics ; Quanta Magazine (04/2022)
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