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Accueil du site > Tribune Libre > Le Monde à l’envers ?

Le Monde à l’envers ?

C’est un grave gambit qu’a pris le journal Le Monde en soutenant Ségolène et en jetant sa plume dans la balance. Pas que l’on ait tort de préférer la gauche à la droite, mais parce qu’il est irresponsable d’exiger qu’un duel ait lieu quand il y a beaucoup en jeu et qu’on n’est pas du tout sûr du résultat. Vous vous souvenez qu’en 40, on allait gagner « parce qu’on était les plus forts » ?

Monsieur Colombani, qui devrait savoir lire les sondages - et qui sait sans doute mieux que la plupart de nous ce que ces sondages cachent - ne trouve-t-il pas téméraire d’imposer cet affrontement Royal-Sarkozy où ce dernier est donné gagnant, alors qu’une retraite stratégique sur Bayrou laisserait à la gauche le temps de proposer plus tard à la France un projet de société qui susciterait un véritable consensus ? Alors qu’aujourd’hui...

Je n’aime, ni n’aime pas François Bayrou. Je ne pense pas qu’il soit un homme providentiel ; je crois seulement providentiel qu’il soit là. Je crois que le vent souffle dans les voiles de la droite et qu’il vaudrait mieux chercher un havre au centre, le temps que passe l’intempérie . Je crois que la droite est portée par un zeitgeist qu’on aurait tort de défier et qu’il faut jeter l’ancre.

Je pense que Bayrou, s’il est élu, sera le premier d’une lignée de gouvernants qui, pour un temps, chercheront surtout à ne rien changer du système politique. Qui ne prendront pas facilement l’initiative de modifier les rapports de force dans la société, mais chercheront plutôt à s’adapter sans heurts aux modifications qu’imposent l’évolution rapide des techniques et celle beaucoup plus lente de l’éducation..

On peut parler de « la fin de l’histoire », ou le dire autrement en parlant d’une nouvelle société, mais l’idée maîtresse, en politique, est que l’on va vers plus de démocratie, que le pouvoir croissant de l’individu devenant indispensable ne permet plus de gouverner que par consensus et que chaque État n’a plus qu’une seule trajectoire possible, celle qui rallie une majorité effective des citoyens. Cette trajectoire est au métacentre de l’éventail politique.

La population veut comme « chef » celui qui correspond le mieux à ce métacentre, celui donc qui incarne la volonté collective. Quiconque a des idées et un projet de société qui promet des bouleversements ne peut donc faire recette que dans un pays où les injustices sont insupportables. Dans un pays développé, comme la France, où l’on s’affaire à rendre les injustices tolérables, la population cherche quelqu’un qui éliminera les irritants, mais ne touchera pas à la structure sociale, sauf pour réagir à un déplacement du consensus provoqué par de nouvelles circonstances.

La population veut que ce soit la société civile qui fasse connaître ses désirs et que le gouvernement soit à l’écoute des gens, habile, mais obéissant. Elle se méfie donc de tout ce qui semble une idée préconçue, de quiconque a un « grand dessein » personnel ou partisan à réaliser. La France veut un État-gérant et un État-arbitre. Un État sans desseins. La démocratie s’adaptera à cette nouvelle dynamique. Le premier pas, vers cette adaptation, c’est l’élection de Bayrou.

Pas parce qu’il est Bayrou, mais parce que c’est lui qui est le plus près du métacentre. Le plus loin des parti pris. J’ai cru longtemps que Ségolène réussirait à placer sa boule plus près du cochonnet, mais le temps passe... La mathématique est cruelle, mais incontournable, car si Bayrou est éliminé au premier tour, la moitié de ses supporters basculeront à droite plutôt qu’à gauche, alors que si c’est Royal qui est éliminée, toute la gauche ira vers Bayrou plutôt que vers Sarkozy.

Trivial et tous les sondages confirment, d’ailleurs, qu’au deuxième tour, entre Bayrou et Sarkozy ce sera Bayrou... mais qu’entre Sarkozy et Royal, ce sera Sarkozy. La France ne peut donc choisir qu’entre le centre et la droite. Choisir le centre serait le choix raisonnable - le plus court chemin vers l’État sans dessein qui à moyen terme est incontournable - mais il faut que les pions soient avancés dans le bon ordre, si on ne veut pas un petit intermède musclé avant que la raison ne prévale.

Le bon ordre, c’est Bayrou au deuxième tour. Il est donc de bonne guerre de bluffer, mais il faudrait tout de même, avant que la musique ne s’arrête, qu’un accord intervienne qui permette un transfert de votes de la gauche vers le centre où ils seront plus utiles. Cela en espérant qu’une droite disciplinée, pour considération à venir, ne vote pas pour Segolène, afin d’assurer une finale Royale - Sarkozy dont ce dernier sortirait vainqueur...

Quand, d’ailleurs, à quelques jours du scrutin, 42 % des Français se disent encore indécis, peut-on penser qu’ils ne savent pas encore quel candidat et quelle politique ils préfèrent, où n’est-il pas plus raisonnable de croire que, cynisme et calculs politiques plus sophistiqués aidant, ils sont plutôt à se demander comment voter « utile » et avoir en bout de piste le président ou la présidente qu’ils veulent ?

Dans la situation actuelle, il faut être conscient que le résultat de cette présidentielle dépendra de votes stratégiquement déplacés. Il serait temps que ceux qui peuvent influer sur ces déplacements assument leur responsabilité et conseillent leurs ouailles en s’adressant à eux comme à des adultes consentants. S’ils ne le font pas, le résultat dépendra des calculs d’apprentis sorciers de milliersd’ individus qui, sans en avoir le doigté, « tireront à la boule » plutôt que de viser au plus près. Le résultat sera aléatoire, peut-être encore plus aberrant qu’une finale Le Pen - Chirac...

Dans le contexte faisant consensus d’un « État sans dessein », cette situation d’un électorat tripartite - gauche-droite-centre - va se reproduire sans cesse, le centre normalement en position de force, sauf quand celle de la gauche ou de la droite qui sera en position de faiblesse ne saura pas lire les augures et n’aura pas l’humilité d’accepter ce centre comme un moindre mal, offrant alors le pouvoir à son adversaire...

Il sera intéressant de voir si cette présidentielle sera la première sous le signe de la stratégie ou la dernière sous celui de l’obstination.. Le Monde prêche pour l’obstination. On saura bientôt s’il s’agit de courage ou d’une assez regrettable témérité.

Pierre JC Allard


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13 réactions à cet article    


  • jako jako 20 avril 2007 15:14

    Bonjour Mr merci encore de cette analyse qui ressemble (en moins brouillon) à la mienne. Juste pour ma culture gambit=pari ?


    • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 20 avril 2007 22:28

      Le gambit est un risque qu’on prend au échecs en sacxrifiant directement ou indirectement une pièce pour obtenir un avantage, parfois uniquement positionnel.

      PJCA


    • Marianne Marianne 20 avril 2007 18:09

      Les sondages sur le 2ème tour prouvent que Bayrou est le préféré des 3 favoris : Rappelons que les sondages sur le 2ème tour donnent Bayrou gagnant à la fois contre Sarkozy (55%) et contre Royal (56%), ce qui prouve bien qu’il est le meilleur consensus et qu’il fait le moins de mécontents sur les 3 candidats. Rappelons aussi qu’il devance Royal en brut dans les sondages et que c’est le « retraitement » fait par les instituts selon leurs « secrets de fabrication » qui lui retirent des points au profit de Le Pen, prétextant que l’électorat de Bayrou doit être le plus volatil. L’éditorial du Monde du 20 avril est un véritable scandale ! Cette réaction du Monde est très suspecte, elle place Bayrou dans le même camp que Le Pen ! JM Colombani a fait une erreur et va provoquer une réaction inverse à celle recherchée. En fait, si vous regardez bien, le programme de Bayrou comprend à la fois des mesures dites « de droite » sur la relance, la croissance, le développement des entreprises (plan PME notamment), la valeur travail (rémunération des heures sup à +35% exonérées de charges, activité pour les bénéficiaires des minima sociaux, ), des mesures sur la sécurité, une gestion rigoureuse des finances avec réduction drastique de la dette et des mesures dites « de gauche » sur la solidarité (valorisation des petites retraites à 90% du SMIC, activité universelle pour les bénéficiaires des minima sociaux, logement social), l’égalité des chances, et des valeurs ni gauche ni droite qui appartiennent à tous : l’école, la protection de l’environnement, l’Europe, des institutions assainies.


      • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 20 avril 2007 22:37

        Tout a fait d’accord ; on ne sera jamais trop à le dire.

        PJCA


      • Blablabla 20 avril 2007 19:47

        « Cette réaction du Monde est très suspecte, elle place Bayrou dans le même camp que Le Pen ! »

        Pas la peine de s’affoler pour si peu.

        Ce positionnement des forces vives de la nation est intéressante car on commence à savoir qui joue avec qui. Pourquoi, ça c’est autre chose !


        • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 20 avril 2007 22:39

          Vous ne savez pas pourquoi ? Cherchez bien...

          PJCA


        • Francis, agnotologue JL 20 avril 2007 21:42

          Gens de gauche, ne nous y trompons pas (!). Bayrou c’est moins bien achalandé que Royal. Mais qu’y a-t-il derrière l’une, et quoi derrière l’autre ?

          Et pourquoi Colombani se mouille-t-il ainsi, comme en 2005 ? Le ’quotidien de référence’ était neutre tant que le Oui paraissait devoir l’emporter. Mais quand ils ont vu que, eh ben non (!), alors, plus question de publier une seule lettre de lecteur, un seul avis qui ne disait pas oui, amen !

          On a compris la musique, depuis longtemps : c’est du ’pipeau’ !

          On l’a dit et redit ici, le PS anesthésie l’opposition (grenouilles, marmite, etc). Qu’il explose ici, et qu’une vraie opposition au libéralisme se cristallise, sur ses ruines. Et ça passe par le choix de Bayrou.

          NB. Le libéralisme, c’est la domination des plus tricheurs. Les libéraux (économique) se croient intelligents, ils sont seulement plus rusés. En effet, les industrieux sont experts exploitation de la nature. Les financiers sont experts en exploitation de l’homme.

          Bien sûr, on ne votera pas Bayrou au 1er tour (quoique !). Mais voter Royal, pour faire élire Sarkozy ? Jamais !

          Si malgré tout, SR est face à NS ? Bien sûr SR, hélas !


          • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 20 avril 2007 22:48

            Colombani se mouille selon le principe qu’il ne faut pas être nécessairement partial, mais partial si nécessaire. Le Monde n’a-t-il pas une longue tradition de collaboration avec ceux qui occupent le pouvoir ?

            PJCA


          • vivelecentre 21 avril 2007 07:45

            vous vous offusquez de la prise de position du monde, mais vous ne reagissez pas qu’en Mariane , pro Bayrou sort un torchon sur Sarkozy ?

            Avec les soutiens bayrou, c’est toujours à geometrie variable selon ce qui les arranges

            L’appreciation des publications des medias mais aussi la campagne ridicule pour un debat à 4 au mepris des 8 autres candidats( et de leurs electeurs) etc etc

            a geometrie variable, tout comme le projet de bayrou, adaptable au grés des circonstances....


            • Francis, agnotologue JL 21 avril 2007 08:22

              à vivelecentre, ce pseudo, c’est de l’humour ? Eh oui, Bayrou est un opportuniste. Comme les autres.

              Il en est des partis comme il en est des hommes. Ils vieillissent, et se sclérosent. De même qu’il faut éviter le cumul excessif des mandats, de même quand un parti a fait son temps et ne s’est pas rénové, il doit laisser la place.

              Les analystes politiques répètent à l’envi que ’ce pays’ est irréformable. Mais c’est l’establishment qui s’accroche à ses privilèges, les apparatchiks qui s’opposent à la rénovation.

              Cette élection est une formidable occasion de donner un coup de pied dans la fourmilière PS noyautée par les bobos, l’occasion de parachever ce qui a été commencé en 2002 et confirmé en 2005. Nous aurions une majorité composée de l’aile droite du PS, des centristes et autres dissidents de l’UMP, et une opposition, à gauche composée de l’aile gauche du PS et tous les autres ’petits’. De quoi faire échec aux politiques ultra libérales et imposer les moratoires indispensables et urgents.

              La Droite a ringardisé les revendications des travailleurs, artisans et petits patrons en opposants les uns et aux autres selon un clivage dévoyé. C’est ce clivage qui permet aujourd’hui aux partis de la finance de ruiner notre pays.

              Les dominants sont rusés, soyons forts : l’union fait la force. Le PS est le parti qui épuise cette force, il doit éclater. L’heure n’est pas à la nostalgie.

              Aujourd’hui encore, on prévoit que S. Royal serait battue par Sarkozy. Bien que je n’en sois pas sûr, je m’en fout, le jeu n’en vaut pas la chandelle, il y a mieux à faire que d’élire une potiche.


            • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 21 avril 2007 15:46

              Je n’ai pas vu le « torchon » de Mariane sur Sarkozy ; je passe peu de temps à l’office. Je vous souligne, toutefois, mon commentaire du 10 avril sur « Cent Papiers » à un article qui attaquait Sarkozy pour ses positions « eugénistes ».

              « je pense que la première condition pour regler un problème, même si on veut le régler humainement, c’est de ne pas nier qu’il existe. Bien sûr, les circonstances - au sens large - sont un facteur dans presque toutes les pathgologies, mais il est simplement stupide de rejeter du revers de la main toute origine génétique à un comportement quel qu’il soit, sous prétexte qu’il serait bien gênant qu’il y en ait une. ON NE SAIT PAS. Laissons donc la science faire ses recherches, sans lui imposer le carcan du »politically correct« qui est la derniere mouture de l’Inquisition. Cette nouvelle tendance à ne pas discuter de la véracité des hypothèses, mais simplement de l’a-propos de les avoir énoncées, me semble la voie vers l’abêtissement » à l’américaine « dont on voit les conséquences néfastes tous les jours. »

              ET aussi le 12 :

              « Je reviens à la charge parce que le New York Times, aujourd’hui même, vient confirmer les études scientifiques suggérant une influence déterminante des facteurs génétiques sur certains aspects du comportement. Je n’en deviens par sarkoziste pour autant, mais je souhaiterais qu’il soit rejeté pour les bonnes raisons, par pour satisfaire aux exigences de ceux qui considèrent la réalité comme un malencontreux obstacle au développement de leurs théories favorites. »

              PJCA


            • Buzz 21 avril 2007 12:25

              Avez-vous lu l’éditorial de Jean-Marie Colombani qui sert de base à votre article ? Si oui, relisez-le bien car il n’est pas question de soutenir Ségolène Royal, mais bel et bien d’écarter François Bayrou. Cela rejoint d’ailleurs nombre de points soulevés dans le développement de votre article, mais sur un postulat faux. Le directoire du Monde (et non « Le Monde », ce serait faire insulte au journalisme en général) souhaite assurer un deuxième tour Royal-Sarkozy, mais pourquoi ?

              Si le postulat est le suivant : le directoire du Monde soutient Nicolas Sarkozy, alors l’obstination devient de la stratégie, qui consiste à assurer un adversaire choisi à l’avance sur lequel toute la campagne électorale de l’UMP à été basée.

              Réponse entre les deux tours, si je me trompe j’aurais l’élégance de me constituer échec et mat.


              • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 21 avril 2007 16:11

                Si vous relisez bien mon article, vous n’y trouverez rien qui contredise votre postulat. J’ai un autre article sur ce site, d’ailleurs, qui invite a voter Bayrou « utile ».. alors que vous trouverez sur mon site personnel deux articles qui disent du bien de Ségolène. Mon analyse est exactement celle de Colombani, la distinction étant que je souhaite un résultat différent, bien sûr, mais surtout que je reconnais franchement la nécessité ici de l’opportunisme, alors que Le Monde va au lupanar en feignant de chercher l’église.

                Pierre JC Allard

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