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Commentaire de Renaud Bouchard

sur Présidentielles 2017 : l'explosion silencieuse


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Renaud Bouchard Renaud Bouchard 25 mars 2017 10:31

Renaud Bouchard à P. Allard (Suite)

"Le 26 mai, de Gaulle rencontre secrètement Pflimlin, mais ils ne parviennent à aucun accord, de Gaulle refusant de désavouer Alger et de condamner la prise d’Ajaccio. Mais le lendemain, forçant le destin, de Gaulle affirme sans scrupule qu’il a « entamé le processus régulier nécessaire à l’établissement d’un gouvernement républicain capable d’assurer l’unité et l’indépendance du pays ».

Du côté des militaires, cette déclaration provoque l’ajournement de l’opération Résurrection. Mais du fait de l’hostilité de la gauche, de Gaulle n’est pas du tout assuré d’obtenir son investiture par l’Assemblée. C’est bien pourquoi, à sa propre demande, il reçoit le 28 mai à Colombey un représentant de Salan, le général Dulac, venu lui exposer les conditions précises du plan prévu pour prendre Paris. Lors de cette entrevue, de Gaulle se renseigne sur le déroulement de l’opération avec force détails, jusqu’à trouver les moyens envisagés trop légers[iii]. En apportant sa caution à l’opération et en laissant carte blanche à Salan, de Gaulle continue donc de jouer sur les deux tableaux : « la première solution, celle du « processus régulier », l’arrivée au pouvoir en toute légalité, a sa préférence sans aucun doute. Mais il ne néglige pas un autre scénario : le débarquement des paras, une menace de guerre civile accrue et son intervention à lui, au bout de quelques jours, en arbitre »[iv].

Preuve de cette duplicité, le même soir de Gaulle s’entretient ensuite avec les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, André Le Troquer et Gaston Monnerville. De Gaulle veut les pleins pouvoirs, la mise en congé du Parlement et une nouvelle Constitution taillée sur mesure. Devant l’opposition de Le Troquer, de Gaulle répond : « eh bien (...) si le Gouvernement vous suit, je n’aurai pas autre chose à faire que vous laisser vous expliquer avec les parachutistes et rentrer dans ma retraite en m’enfermant dans mon chagrin »[v]...

Mais l’on n’ira pas jusque là : le 29 mai, Pierre Pflimlin démissionnaire, le Président Coty appelle enfin de Gaulle au pouvoir et lui demande de constituer un « Gouvernement de salut national » et de procéder à une « réforme profonde de nos institutions ». Cela entraîne l’abandon de l’opération Résurrection dont le début devait être imminent, une concentration des avions militaires ayant déjà commencé dans le sud-ouest du pays. Le 1er juin, de Gaulle est investi par l’Assemblée nationale sans difficultés, en dépit de l’opposition des communistes et de quelques députés de la gauche modérée comme Pierre Mendès-France (« je ne voterai pas le pistolet sur la tempe ») et François Mitterrand (« en droit, le général de Gaulle tiendra ce soir ses pouvoirs de la représentation nationale ; en fait, il les détient déjà du coup de force »). Le lendemain est votée la loi constitutionnelle ouvrant la voie à l’élaboration d’une nouvelle Constitution, qui aboutira en septembre.

Que conclure de tout cela ? Que l’on est loin de l’histoire officielle de la naissance de la Ve République où de Gaulle est appelé, dans un vaste consensus, en sauveur d’une République rendue impuissante par le « régime des partis ». La réalité, bien moins glorieuse que la légende, est celle d’un « coup d’État démocratique » (Christophe Nick) ou d’un « coup d’État de velours » (Michel Winock). Si la transition entre les deux régimes s’est faite dans le respect des formes juridiques, c’est sous la menace d’un putsch instrumentalisé par de Gaulle. Que l’on ne s’étonne pas ensuite du caractère « bonapartiste » ou « monarchiste » de la Constitution de 1958..."


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